Le temps avait passé depuis la visite de Leopold aux urgences de l'hôpital général de Toronto. Trois semaines environ, à un ou deux jours près. Mon petit bonhomme allait beaucoup mieux, il n'avait pas refait de crise majeure, et si parfois, je devais lui faire inhaler son aérosol, ce n'était rien de bien grave. Il prenait des médicaments deux fois par jour, pour calmer ses bronches et les aider à mieux se développer avec son asthme. Tout allait bien.

Jonathan était encore là, tous les jours, pour m'aider, et je ne pouvais que l'en remercier grandement. Sans lui, je ne savais pas ce que je ferais. Je ne pourrais probablement pas travailler. Non pas que j'ai encore réellement besoin de travailler, mais je ne voulais pas perdre pied, je voulais rester quelqu'un d'actif. Et puis, je n'avais quand même pas assez d'argent pour pouvoir vivre convenablement et dignement avec deux enfants à charge et des études à subventionner plus tard. D'ailleurs, tout l'argent que Matthew m'avait laissé était pour eux, et non pour moi. Jonathan quant à lui, me disait – m'ordonnait presque – de prendre des vacances, de faire un break. Cependant, ce n'était pas possible, pas avec mon travail. Les élèves avaient besoin de cours et je ne pouvais pas tout lâcher comme ça !

Un soir, en rentrant à la maison, mes deux petits monstres vinrent me sauter dans les bras, comme d'habitude. Cependant, Jonathan fit une tête étrange, et il ajouta ensuite que j'avais vraiment besoin de me reposer et de me détendre. Sur ce coup-là, il n'avait pas tort, j'avais besoin de me reposer. Mais ce n'était pas si facile de devoir s'occuper des enfants seule le soir, et de devoir préparer et faire des cours pour des étudiants en musique en même temps. Par chance, l'université bénéficiait quand même de vacances, j'allais donc pouvoir me poser quelques jours et dormir plus longtemps que d'habitude.

Alors que Jonathan m'apportait des amuses-gueules avant que l'on mange le dîner, il me demanda si je souhaitais qu'il reste plus longtemps. Évidemment que je voulais qu'il reste. Ça  faisait trois semaines que je voulais qu'il reste avec moi. Je n'osais rien lui dire, parce que je savais ce qu'il me répondrait si jamais je décidais par je ne sais quel miracle de lui annoncer que je voulais qu'il reste, mais je n'en pensais pas moins. Il m'hypnotisait. Et Ella ne m'avait dit que du bien de lui, alors ça me poussait à lui faire encore plus confiance. Alors cette fois, je me lançai :

- J'aimerais bien que tu restes, oui. Mais pas pour m'aider, seulement pour être là... en tant qu'invité, si tu veux !

Je savais qu'il m'avait entendu, j'avais parlé assez fort pour qu'il m'entende de la cuisine, où il était avec Leopold. Comme je n'entendis pas de réponse distincte, je me redressai dans le canapé et regardait derrière moi, pour voir Leo et Jon apporter un énorme gâteau. J'ouvris de grands yeux, en souriant.

- Waw, il est magnifique ! Vous l'avez fait tous les trois ?

Je me doutais que de toutes façons, les enfants ne l'avaient pas fait tous seuls. Sinon, j'avais peur de voir l'état de ma cuisine. Je faisais confiance à Jonathan, et je savais que même si effectivement, son état aurait été à déplorer, il aurait tout nettoyé avant que j'arrive. Il était serviable, parfois même un peu trop, mais je devais bien avouer que ça me faisait du bien de ne pas tout avoir à faire à la maison en rentrant. Sinon, c'était clair que tout serait dans une saleté pitoyable.  Jonathan finit par m'expliquer qu'il avait laissé les petits faire ce qu'ils voulaient, qu'il avait suivi, et qu'il obéit à leurs ordres et indications. Et surtout, quand il me fit comprendre que les enfants voulaient me faire plaisir et me remercier pour être là et faire tout ce que je faisais pour eux, je ne pus que sourire en serrant mes enfants contre moi, une fois que Leopold eut posé le plat contenant le gâteau. Ils étaient adorables. Mais pour moi, c'était tellement normal que je fasse tout ce qui était en mon possible pour qu'ils soient heureux qu'ils n'avaient pas besoin de faire quoi que ce soit pour me remercier... au contraire !

Le câlin fut de courte durée, puisque Leo voulut alors que l'on coupe le gâteau. Je n'eus pas le temps de lui dire que ce n'était pas le moment que Jonathan s'en occupa. Alors qu'il parlait avec lui et lui montrait l'heure, je gardais Johanna dans mes bras. Elle était très fière d'elle, je le voyais dans ses beaux yeux bleus, et je la câlinais de plus belle. Il était temps que les vacances arrivent. Je voulais être un peu plus avec mes enfants. Et avec Jonathan aussi, s'il acceptait de venir encore...

- Merci beaucoup Jon... vraiment, pour tout ce que tu fais pour moi !

Je lui fis un beau sourire, avant de me relever, pour aller préparer la table. Je savais qu'il allait m'en empêcher, mais je voulais absolument le faire pour qu'il mange avec nous. Si je mettais un couvert en plus, il n'allait pas me contredire ni l'enlever ! Alors c'était mon moyen de pression à moi. Il n'aurait pas le choix.

- J'aimerais qu'on reparle de cette proposition de vacances... et je pense que c'est une très bonne idée ! Reste avec nous ce soir, on verra ça en mangeant !

Définitivement, Jonathan n'avait pas le choix. Je savais que ça ne devait pas lui plaire, mais j'allais l'obliger à rester. Pour une fois, au moins. Il s'éclipsait toujours avant que j'aie le temps de faire quoi que ce soit, d'habitude. Alors cette fois, je le prenais par surprise, et il allait rester. Nous devions discuter, lui et moi. Cependant, il ne se laissa pas entièrement faire pour autant. Il me lança une petite remarque, en disant qu'il faudrait d'abord que je demande aux enfants s'il voulait rester. Enfin, la réponse était évidente, quand même, et lui devrait le savoir. Il les côtoyait tous les jours, comme moi, et il savait pertinemment que les enfants l'adoraient. Cette question était inutile, mais j'allais leur demander quand même, pour l'embêter.

Alors qu'il s'occupait de Leopold, Johanna resta avec moi. Je la pris doucement contre moi en lui demandant assez fort et assez clairement si elle voulait que Jonathan reste pour manger. Evidemment, elle acquiesça avec joie. Je lui fis un sourire, avant de regarder Jon pour savoir ce qu'il allait me répliquer. Il n'ouvrit pas la bouche cependant, et je fus satisfaite. J'avais donc la permission des enfants pour qu'il reste, maintenant il n'avait plus le choix ! C'était parfait !

Nous préparâmes à manger tous ensemble, Jon et Leo en s'affairant près des placards, Johanna et moi près du frigo, avec les légumes et les produits frais. Tout se faisait dans la bonne humeur, avec une ambiance joviale et tout allait pour le mieux. J'avais presque l'impression que nous formions une vraie famille, même si Jonathan n'en faisait pas partie. Tout ne tenait qu'à lui en fait... personnellement, je ne dirais pas non à continuer où nous en étions, lui et moi, après le passage aux urgences de Leopold.

Quand le repas fut prêt, nous passâmes à table, et quand tout le monde fut servi, je regardai Jonathan qui faisait manger Leopold, ce dernier ne jurant que par lui.

- Qu'est-ce que tu entendais faire pendant ces vacances ? Tu resterais avec nous ?

Jonathan s’occupait très bien de mon fils et j’étais admirative de le voir s’en sortir aussi bien. Non pas que Leopold était une petite terreur, mais j’aurais cru qu’il aurait été un peu plus sauvage que cela. Au contraire, j’avais l’impression qu’il adorait Jonathan, et ce, depuis le tout début. En même temps, qui n’adorerait pas Jonathan ? Il était parfait avec eux, comme avec moi, et j’étais vraiment contente d’être tombée sur lui. Enfin, il me reparla de ces « vacances » et m’apporta plus d’informations.

Ainsi, il voulait plutôt faire des balades, tous ensemble, ou même sans lui, près du lac, du côté de ces si jolis endroits que les enfants n’avaient pas encore vu, dans leur vie. Il pensait notamment à l’aquarium, au parc d’attractions, toutes ces choses que les enfants pourraient avoir envie de visiter, de faire. Il ajouta que c’était à moi de décider si je voulais qu’il soit avec nous ou non. Et pour moi, ce n’était même pas envisageable qu’il ne vienne pas. Je voulais qu’il soit là, je voulais que l’on partage tout cela ensemble, lui et moi. Alors il viendrait, puisque c’était moi qui décidais ! Et les enfants seraient si contents de l’avoir avec eux…

Le repas continua lentement, mais sûrement et Leopold et Jonathan furent les premiers à terminer leurs assiettes alors que pour ma part, je faisais manger Johanna à son rythme. J’étais heureuse à l’instant présent, réellement heureuse, entière et contente de moi. J’étais simplement trop fatiguée pour le remarquer et je notai cependant que Jonathan avait raison : j’avais besoin de vacances. Heureusement qu’elles arrivaient assez vite.

-Le programme me convient parfaitement. Et je pense qu’il conviendra aux enfants également. Et j’aimerais que tu viennes. Je pense que les enfants aimeraient beaucoup que l’on fasse ces activités tous les quatre !

J’avais tellement l’impression de déranger Jonathan, en lui disant tout cela. Mais j’avais besoin de lui. Il ne semblait pas comprendre que j’avais réellement besoin de sa présence. Et pire encore, il me paraissait complètement ailleurs, et il voulait encore garder ses distances. Ça me rendait folle, mais je pouvais comprendre, dans un sens. J’étais sa patronne, j’étais vieille par rapport à lui, et comme je le disais toujours, il y avait sûrement d’autres femmes. Je ne devais pas me faire d’illusions. D’ailleurs, je le compris très bien quand il me précisa qu’il venait pour les enfants. Je le pris très mal, même si je ne lui montrais pas. Mais j’aurais dû m’en douter. Il ne pensait qu’aux enfants, parce qu’il les adorait. Je pris sur moi et n’ajoutai rien. Maintenant, c’était fait, et j’avais bel et bien confirmation comme quoi il n’avait aucun autre intérêt que les enfants. J’aurais dû m’en douter. Ce n’était pas grave. Au moins, comme ça, je n’avais plus de questions à me poser.
Jonathan coupa le gâteau avec l’aide de Leo, qui tenait le bout du manche du couteau, sous mes yeux attentifs, et sous ceux, gourmands, de sa sœur. Quand tout le monde fut servi, j’aidai une fois de plus Johanna à manger sa petite part, ce qui me permit de ne pas regarder Jonathan, excepté quand j’en avais besoin. Je savais très bien faire semblant de rien, et j’étais bonne actrice. Je l’avais toujours été. Et ce n’était pas ça qui allait m’empêcher de l’être. J’étais déçue, certes, mais je n’allais pas le montrer. Après tout, c’était normal qu’il refuse d’être plus que ça pour moi.

- Merci. Ça me convient parfaitement !

J’avais parlé un peu sèchement, d’une voix froide et dénuée de sentiments. Je n’aurais pas dû, parce que je venais certainement de me vendre. Pour me rattraper, je décidais donc de lui adresser un petit sourire crispé, en essayant de jouer sur la fatigue…

J’eus un moment de répit quand Jonathan partit coucher Leopold dans son lit. Je soufflais un bon coup, en me rendant alors compte de la bêtise que je venais de faire. Mais en même temps, c’était de sa faute, c’était lui qui me repoussait depuis le début. J’aurais dû comprendre plus vite, mais j’avais cru pouvoir le changer. Et ce n’était pas le cas. Evidemment. Ça ne marchait pas avec tous les hommes de la Terre, ça. J’étais déçue, déçue de lui, déçue de moi. Et maintenant, je regrettais presque d’avoir accepté cette histoire de vacances. Mais je ne pouvais plus reculer, et les enfants seraient tellement déçus. Alors je ferai avec ! Mais ce n’était pas de bon cœur. Je ne voulais pas m’embrouiller avec lui.
Et pourtant, quand il revint, il entreprit de faire la vaisselle, et je le rejoignis, comme si de rien n’était. Il voulut me faire le regarder et je refusais à chaque fois, jusqu’au moment où je décidais que la mascarade avait assez duré, et où je le fixai avec un regard glacial, encore. Quelle idiote… Bien entendu, il s’enfuit, et prit sa veste avant de partir, Johanna sur ses talons. Elle se mit à pleurer en le voyant partir si vite, et l’entendre pleurer me fendit le cœur. Néanmoins, Jon réussit à la faire arrêter, et je partis la récupérer dès lors que j’entendis la porte claquer.
Je partis coucher ma fille, et sécher ses larmes, et quand j’eus enfin terminé, je redescendis dans la cuisine pour terminer la vaisselle. J’étais toute bizarre, je ne supportais pas le fait que Jon soit parti comme ça. Mais c’était bien ce qu’il voulait non ? Imposer une distance entre nous ? Ne pas nous connaître trop et ne pas faire ami-ami. J’avais compris le message, je l’avais même très bien compris. Une déception de plus n’était pas dramatique au point où j’en étais, ce n’était pas un problème !

Le lendemain, je rentrai le plus tard possible à la maison, et je lui adressai à peine la parole. Les formalités habituelles, finalement : « bonjour, ça va ? Tout s’est bien passé ? ». Rien de plus. Je pensais qu’il allait s’enfuir, qu’il allait partir, qu’il allait me laisser seule. Et je me trompais. Du moins pour quelques temps. Alors qu’il me fixait, sans rien dire, je relevai les yeux vers lui, et tâchai de lui répondre avec gentillesse et chaleur.

- Tu as besoin de quelque chose ?

Jonathan avait décidé de ne pas non plus me parler de façon très agréable. Il n’était que le miroir de moi-même, évidemment. Je ressentais de la déception, je pensais qu’il allait réagir. Et ce n’était pas le cas, ce qui me confortait encore plus dans mon image du garçon qui n’en avait absolument rien à faire de moi. Pourtant, il ne m’avait jamais repoussée, il n’avait jamais dit quoi que ce soit de méchant ou pire… non, il avait accepté de se laisser embrasser, même s’il disait qu’il ne fallait pas, parce que j’étais sa patronne. J’étais vraiment déçue, oui. Je voulais plus. Mais ça n’allait jamais arriver, et ça, je l’avais bien compris !
Il partit rapidement, ce soir-là, et encore une fois, Johanna le retint du mieux qu’elle put. Quand je revins dans l’entrée, je vis ma fille s’accrocher à notre baby-sitter et je ne pus m’empêcher d’intervenir. Elle le suppliait de rester plus longtemps et ça me brisait le cœur de devoir la rassurer et la consoler après qu’il soit parti. Je soupirai et avec une voix douce, j’interpellais Jon, juste avant qu’il ne quitte pour de bon l’appartement, alors qu’il était déjà presque dehors :

- Jon ? Tu peux rester, s’il te plait ? Ils n’ont vraiment pas envie de te laisser partir et en fait… je suis désolée de t’avoir parlé comme je l’ai fait… mais si tu me laisses t’expliquer, je te promets de te dire pourquoi…

J’avais essayé d’être gentille, de paraître gentille, du moins ; et puis mes enfants le réclamaient, ils étaient complètement perdus sans lui. Et pourtant, « ce n’était qu’un baby-sitter », ils ne devraient pas réagir ainsi. C’était comme s’il s’agissait de leur père… j’avais peur finalement qu’ils l’assimilent à Matthew. Ce n’était pas du tout mon intention, et ce n’était pas non plus l’intention de Jonathan.

Vous n'avez rien à m'expliquer, vous m'avez fait comprendre que je n'étais qu'un simple babysitter, juste un employé et que je faisais pas partis de votre monde, je l'ai compris, j'aurais jamais du croire un instant que vous pouviez être différente et non je reste pas, j'ai un autre boulot, je ne suis pas que votre employé ... 

Je baissai la tête alors qu’il quittait le duplex. Quelle tête de mule, lui aussi ! Nous étions faits pour nous entendre lui et moi, niveau caractère. Evidemment que ça faisait des étincelles entre nous, il était aussi chiant que moi. Il n’acceptait pas d’entre des compliments, il n’acceptait pas non plus de comprendre que j’avais pigé qu’il ne me considérait pas autrement qu’en tant que patronne. C’était ça qu’il voulait non ? Eh bien je l’avais compris ! Même plutôt bien. Je ne voulais pas y croire, mais j’avais compris.

Le lendemain, quand j’arrivais, épuisée de ma journée de cours, la plus grosse de la semaine, Jonathan voulut partir tôt. Je ne le retins pas. Je n’en avais plus la force. Je voulais faire manger mes enfants, les coucher et dormir à mon tour. J’avais du mal à tenir, je voulais me coucher, même sans manger ce n’était pas grave. Seulement, l’organisme de Leopold en décida autrement. Il eut une crise d’asthme, alors que Jonathan s’apprêtait à partir. Je me précipitai sur la commode où j’avais rangé ses affaires en cas de crise comme celle-ci et j’en sortis l’inhalateur, qui n’était à utiliser qu’en dernier recours, en raison de l’âge de mon fils. Il était trop petit pour utiliser ça tout seul et il ne comprenait pas forcément l’usage que l’on pouvait en faire.

Jonathan l’avait pris dans ses bras pour le rassurer et le calmer, et quand j’arrivai avec l’inhalateur, je pus calmer Leopold pour de bon. Néanmoins, ce dernier s’accrochait à la veste de Jon. Il avait peur, il avait sûrement mal et il ne voulait pas perdre ses repères. Quand enfin il s’endormit dans ses bras, Jonathan partit le coucher, tandis que je rassurais Johanna, qui bien entendu avait vu toute la scène, malheureusement. Elle était toute secouée et semblait ne pas comprendre ce qu’il se passait, malgré le fait que je lui ai tout expliqué, en rentrant de l’hôpital.

Au bout d’un moment, alors que je gardais Johanna dans mes bras, sur le canapé, j’entendis Jonathan redescendre, et Johanna l’entendit aussi bien que moi, puisqu’elle sauta de mes bras pour aller le serrer contre elle. Je la regardai faire en souriant, et plongeai mon regard dans celui de Jonathan. Je lui étais vraiment reconnaissante d’avoir réagi si vite. Qui sait ce qui aurait pu arriver s’il n’avait pas été là ? J’aurais peut-être été trop lente… Ou alors peut-être ne l’aurais-je même pas remarqué …
Je me levai pour aller remercier le sauveur de mon fils, et très sincèrement, sans plus jouer un rôle ou essayer de lui faire comprendre des choses, je le serrai contre moi, l’obligeant à se laisser faire.

- Merci, lui glissai-je au creux de l’oreille, alors que je passais mes bras dans son dos.

Je n’avais aucune arrière-pensée en faisant cela, mais j’étais sûre qu’il croirait le contraire. Il avait ce préjugé, et il ne changerait pas d’opinion, je le savais. Mais moi, au moins, je savais pourquoi je le prenais dans mes bras : pour s’être occupé de mon fils, et pour m’avoir aidée.

Jonathan acceptait plutôt bien le fait que je le serre dans mes bras. C’était déjà ça. Ou alors faisait-il semblait, simplement parce que ma fille était avec nous ? Peut-être… en tout cas, il faisait bien semblant, et ça me rassurait énormément. J’étais fatiguée, j’étais effrayée, et j’avais peur de me battre encore plus. Mais pour ce soir, au moins, mon fils allait bien, et je pouvais me calmer. Même si je n’allais pas dormir de la nuit à cause de ça, trop anxieuse de savoir s’il allait respirer normalement pendant neuf heures d’affilées.

Vous souhaitez que je reste cette nuit pour surveiller?

J’avais à peine senti ses lèvres se poser sur ma tempe, et pourtant, il l’avait bel et bien fait. Et maintenant, il me demandait s’il devait rester ici cette nuit. Mon âme, mon cœur me criait de lui dire oui. Mon esprit, mon cerveau me disait de rester prudente, de ne pas lui dire oui, parce qu’il devait se reposer aussi de son côté, et puis.. c’était à moi de veiller sur ses enfants, la nuit. Mais j’étais tellement fatiguée que j’aurais pu tout accepter. Mais qu’allait-il faire ? Il n’allait pas rester toute la nuit au pied du lit de Leopold ? Il fallait qu’il dorme. Et puis je croyais qu’il travaillait la nuit, comment ça se passait alors ? Il pouvait annuler, comme ça ? Je ne comprenais vraiment pas ce garçon. Il me cachait des choses. Bien évidemment, ça ne me regardait pas, c’était sa vie professionnelle, mais privée, et puis.. il n’avait pas de compte à me rendre. Mais ma curiosité était piquée au vif et je voulais savoir… même s’il n’allait rien me dire.

- J’aimerais beaucoup que tu restes en effet, mais ne te force pas. Je sais que tu dois travailler, et je sais aussi que tu dois te reposer. Tu as des cernes, Jon, et tu devrais plutôt dormir… je peux le surveiller, tu sais…

Je savais pertinemment que je n’étais pas convaincante du tout. Je le voyais dans son regard, et mes cernes devaient être aussi impressionnantes que les siennes…

Jonathan avait retrouvé la douceur dont il avait toujours fait preuve avec moi. C’était comme s’il ne s’était rien passé entre lui et moi, comme si nous ne nous faisions pas la tête. J’étais tellement bien dans ses bras, et j’étais tellement mal en me disant qu’il ne voulait pas de moi… J’aurais voulu plus, beaucoup plus. Et je ne pouvais rien faire. Je ne voulais pas être prise pour ce que je n’étais pas. Et puis… être avec un petit jeune, ça ferait jaser. Surtout que c’était mon élève. Et puis je n’étais pas Madonna !

Vous en faites pas pour ca, je peux annuler mon autre boulot, on peut me remplacer et puis je suis pas fatigué je vais très bien et je ne vous crois pas, vous tombez de fatigue allez vous coucher je m'occupe du reste

Sa main avait parcouru mon corps pendant qu’il parlait, et je me sentais toute flageolante entre ses doigts. Je frissonnai en me rendant compte de ce que je pouvais éprouver rien qu’à son contact. Lorsqu’il toucha mes cheveux, je crus que j’allais m’évanouir tellement la pression à l’intérieur de mon corps était forte. Et quand il caressa ma joue, je fermai discrètement les yeux quelques secondes avant de les rouvrir pour les plonger dans les siens. J’aurais voulu qu’il m’embrasse. Je l’aurais vraiment souhaité. Au lieu de quoi, il m’embrassa sur le front et je dus filer dans ma chambre.

Pourtant, une fois dans mon lit, changée, démaquillée, prête à dormir, je n’arrivais pas à me calmer et à essayer de penser à autre chose. Avoir Jonathan chez moi n’était vraiment pas une bonne idée. De plus, j’angoissais pour Leopold. Il fallait que je le voie, il fallait que je m’assure qu’il aille bien. Au bout d’une heure, je me relevai, sans avoir fermé l’œil une seule fois. Je me faufilai dans la chambre de mon fils, et surveillai sa respiration. Il allait bien. Très bien même. Il dormait à poings fermés. Au bout d’un quart d’heure, je sortis de la chambre en fermant tout doucement la porte et alors que je me retournais, je vis Jonathan juste en face de moi. Je me retins de pousser un long hurlement de surprise et je sursautai brusquement.

- Bon sang, tu m’as fait peur… Je croyais que tu dormais… Visiblement, non. Tout va bien ?

Je tournai la tête et finalement, mes yeux se posèrent sur le corps de Jonathan. Il était torse nu et il avait dû se lever en entendant du bruit à côté de sa chambre, étant donné qu’il avait pris la chambre d’amis. Quant à moi, je n’étais pas mieux à vrai dire, j’étais en nuisette et pas franchement sous mon meilleur jour. Je piquai un fard et croisai les bras sur ma poitrine avec pudeur.

- Désolée, je… je vais aller me coucher… Pardon…

J’évitai le regard de Jonathan, je n’avais pas spécialement envie qu’il me voit dans cette tenue, mais je ne pensais pas qu’il allait se lever pendant que je veillais sur Leopold. Il m’avait prise au dépourvu, et j’avais l’air tellement idiote comme ça… J’espérais qu’il ne me regardait pas… enfin je l’avais bien regardé, alors, ce serait de bonne guerre s’il me matait aussi. Il me fit avancer jusque dans ma chambre, en posant une main dans mon dos, et je me retournai vers lui quand il commença à me parler.

NE vous en faites pas, je les surveille, fermer les yeux, faite un bon somme tout ira mieux demain ...

Je le regardai sans rien dire, mais je savais très bien que je n’allais pas dormir de la nuit. J’avais beaucoup trop de choses en tête et ce n’était pas ça qui allait me faire dormir. Surtout que maintenant, j’avais vu son corps, et je devais bien dire que ça me faisait de l’effet. Alors dormir n’était pas franchement possible vu mon état. Et Jon ne semblait même pas s’en rendre compte, ce qui m’attristait encore plus. Je devais l’admettre, j’aurais aimé qu’il fasse quelque chose, qu’il m’embrasse, qu’il me parle plus encore, que savais-je ? je voulais simplement qu’il reste avec moi !

-Viens me voir si tu as besoin de quelque chose…

J’avais dit cela d’une voix plus brisée que je ne l’aurais voulu. J’étais immensément déçue et je m’en voulais aussi d’être déçue. Je ne devrais pas l’être et Jonathan ne devrait pas être ici… mais il était là et il ne se passait rien… pour mon grand désespoir !

Pourtant, j’eus nettement l’impression que Jonathan allait changer d’avis. Il me regardait d’une toute autre façon maintenant, comme s’il avait compris ce que j’essayais de lui faire comprendre seulement par des gestes ou des regards. Je n’osais rien lui dire, je n’osais pas sauter le pas, parce que j’étais timide – oui, c’était incroyable, mais j’étais timide face à lui – et parce que je ne savais pas si c’était une bonne idée. Il me regardait d’une façon tendre et se rapprocha de moi en posant doucement sa main sur ma joue et en la caressant délicatement. Je frissonnai alors qu’il me demandait si je voulais qu’il reste avec moi. Je plongeai mon regard dans le sien. Tout mon corps lui disait oui. Une infime partie de mon cerveau refusait catégoriquement : la partie reliée à Matthew. Et mon cœur était partagé entre le oui et le non et je ne savais plus quoi faire. Je baissai les yeux en sentant ses doigts caresser encore ma joue et je murmurai simplement, dans un souffle :

-Oui.

Ce n’était pas de la honte que j’éprouvais pour baisser les yeux ainsi, au contraire. C’était du soulagement. J’avais enfin pu lui dire honnêtement ce que je voulais, même si ce n’était qu’une réponse à une question, et non un engagement réel de lui dire. En temps normal, j’aurais dit que non, il devait se reposer, qu’il pouvait me laisser seule, et je l’aurais regretté dans la seconde. Maintenant, c’était différent… et bon sang, ça faisait du bien de l’avoir enfin dit. Il me lâcha la joue et repassa sa main dans mon dos, ce qui me fit frissonner davantage, avant de me pousser à l’intérieur de ma chambre pour m’accompagner, et j’eus l’air idiote, gauche, et maladroite. Je ne savais plus comment agir pour bien me conduire avec un homme et c’était absolument gênant.

-Désolée d’être aussi nulle.

Ça aussi, ça m’avait échappé. Et cette fois-ci, j’aurais préféré ne rien dire. Mais évidemment, je n’avais pas tenu ma langue, comme à mon habitude.