Le cours s'éternise et je suis surpris du manque, conscient ou non, de motivation à argumenter aujourd'hui. Je suis le genre de professeur qui pousse les élèves à la réflexion la plus accrue, je les pousses dans leur retranchements, j'aime que naisse la discorde, que le ton de voix s'hausse un peu, que la discussion en soit pas stérile en fait. Mais là, c'est plat, c'est triste, le débat Kant VS Platon aurait dû susciter de la passion quand même.

La cloche sonne, et je claque dans mes mains, pour signaler la fin de ce nouveau cours.

- Merci à tous, mais vous êtes priez de revenir lundi, avec votre esprit aiguisé, on reprendra les grands thèmes, et je vous veux glorieux et vainqueurs dans l'argumentaire.

Je replies mes affaires, prends ma sacoche sous le coude et sors de la salle de classe, que je referme avant de me diriger vers la salle des professeurs. Je crois quelques étudiants, qui me saluent, avec des petits citations, des bonjours sympathiques, et les oeillades de certaines étudiantes qui s'attardent sur moi... Je secoue la tête, en me disant que si je n'aimais pas tant les femmes plus mûres, j'aurais l'embarras du choix chez les étudiantes.

J'ouvre la porte pour tomber nez à nez avec Abi.

- Te revoilà... Je l'embrasse sur la joue, et vais poser ma sacoche sur la table centrale. Avant de me tourner vers la machine à café. Ils sont comment tes élèves aujourd'hui?

On a beau dire, même si l’éducation n’est pas son domaine de prédilection, cela peut-être tout de même très stimulant. C’était peut-être parce que j’enseignais dans un domaine très précis, la musique, ce n’était pas une filière où n’importe qui pouvait se retrouver, et j’avais souvent de très bons élèves, assidus et intéressés. C’était agréable d’être écoutée, d’interagir avec les étudiants et de les voir progresser, au fil des années. Même si au début, je pensais que je n’allais jamais aimer ça, finalement, je m’étais vraiment trompée. Je prenais vraiment goût à l’enseignement. Et il fallait dire que j’avais des collègues formidables !

En parlant de collègues, j’en étais entourée en ce moment, puisque je me trouvais dans la salle qui était réservée aux professeurs, un mug de café à la main. Il était onze heures, je n’avais plus cours depuis une heure et ma prochaine conférence était à treize heures trente. Autant dire que je ne faisais pas grand chose d’autre que traîner en attendant. J’étais juste à côté de la porte quand cette dernière s’ouvrit, pour laisser entrer Vern, mon préféré d’entre tous. Mon sourire s’agrandit quand son regard croisa le mien, et je le laissai me claquer une bise en posant doucement ma main sur son bras. Toujours ma tasse à la main, je le suivis en l’entendant me demander comment étaient mes élèves. Il allait être déçu de ma réponse. « Ils sont parfaits, comme toujours ! Ils écoutent et ils appliquent, répliquai-je d’un ton narquois. » Je me posai ensuite contre le meuble où se trouvait la machine à café, pour le regarder pendant qu’il se servait un tasse du breuvage encore fumant. « Et les tiens ? » S’il m’avait posé cette question, ce n’était pas innocent, et j’attendais la litanie avec impatience. Il savait pourtant très bien que j’adorais mes élèves, parce qu’ils n’étaient pas nombreux, que je les connaissais bien et qu’ils me plaisaient bien parce qu’ils étaient au moins autant passionnés de musique que moi. « Tu as combien d’heures de cours encore avant de faire une crise de nerfs ? » Je me moquai, gentiment, et puis de toute façon, il ne pouvait pas se passer de moi.

Je ris doucement à sa réponse. Bien sûr que c'était loin de la vérité, nous avions probablement tous le même problème, dès que les vacances arrivaient, ils périclitaient un peu. Je fais mon café, tranquillement, glissant quelques regards vers Abi... la magnifique Abi et talentueuse qui plus est, ce qui n'était pas donné à tout le monde, d'avoir les deux. Je la regarde avec un petit sourire en coin.

- Des érudits, bon pour le master... Bien sur que non, Davidson n'a pas arrêté de reluquer les jambes nues de sa voisine... tu sais Pierson... elle avait oublié la tenue réglementaire, au niveau du bas... du coup lui qui d'habitude a la langue bien pendu pour donner son avis, n'arrivait pas à aligner 3 mots cohérent. Bref, ça a été le drame encore... et ça jusqu'à vendredi, je le crains.

Je portais la tasse à ma bouche, pour boire, en veillant de ne pas me brûler. J'éclate de rire, lorsqu'elle me demande à quand la crise de nerfs.

- J'ai de la marge, mais tu veux qu'on aille... danser tous le deux... Lui proposais-je, l’œil brillant d'une lueur qu'elle seule connait.

Je parle de danse réellement, ça n'est pas la première fois, qu'on emprunterait les clés de l'amphi de théâtre justement, pour aller se mettre des vieux morceaux, et danser ensemble. J'aime la sentir contre moi, et pas seulement charnellement, mais juste comme ça... Son odeur est envoûtante, et sa souplesse n'a pas d'égale. C'est comme ça, que ça a dérapé la première fois... et puis la seconde aussi. Je veux la retrouver, même si ce n'est que pour danser avec elle.

A priori, ses élèves étaient vraiment pires que les miens. Comment se faisait-il qu’à chaque fois, c’était la même chose ? A chaque début d’été, dès que les températures augmentaient, certains garçons ne pouvaient tout bonnement plus se tenir et perdaient toute l’attention nécessitée en classe ? Je n’avais pas de problème de ce genre dans ma classe, puisque la plupart du temps, les élèves n’aimaient que leur instrument de musique… ou alors je ne voyais vraiment pas les signaux ! Je ris, doucement, en l’écoutant me parler. Il était temps que l’été arrive, parce qu’il allait réellement se lâcher sinon. D’ailleurs… Il me proposa d’aller danser, tous les deux.

Bien entendu, je savais parfaitement ce qu’il voulait signifier par là. Ce n’était pas la première fois que l’on s’apprêtait à ce genre de petit jeu, et ce ne serait probablement pas la dernière. Je m’en voulais un peu, parce que je n’étais pas sûre de savoir si pour lui ce n’était que de l’amusement ou non. Mais à chaque fois que nous avions été « dansé », il s’était passé plus. Beaucoup plus. Et en ce moment, je n’étais pas certaine d’avoir envie de céder, et de potentiellement tout gâcher dans ma vie intime… Mais ça, Vern n’en savait rien, bien entendu. Et son regard envoûtant ne me disait rien qui vaille. Il ne passa pas une minute avant que je ne cède, et je soupirai intérieurement en répondant : « Mon prochain cours est à treize heures trente… ça nous laisse le temps de nous entraîner. » Intentionnellement, j’avais baissé le ton, je ne voulais pas que les collègues nous entendent. Ils ne se doutaient probablement de rien, et ne l’avaient jamais fait. En réalité, Vern et moi, on paraissait être les meilleurs amis du monde. Pour ma part, je le considérais bel et bien comme un ami… avec des petits extra.

Je terminai ma tasse de café d’une longue gorgée, avant de déposer ma tasse dans l’évier, après l’avoir rincée rapidement. Puis, je me retournai vers lui en souriant à demi. « Mais toi, tu as peut-être cours ? m’enquis-je, innocemment. » Bien sûr que non, il n’avait pas cours, je connaissais pratiquement son emploi du temps par cœur, sans le vouloir, et il ne m’aurait pas proposé cela autrement…

Je sens poindre le non, puisqu'elle a l'air d'hésiter. Je l'invite à danser, genre danse de salon, comme nous avions l'habitude pour nous détendre. C'était partit d'une pitrerie de ma part, et puis c'est devenu notre truc à nous. Finalement elle accepte, et mon visage s'illumine.

- parfait... Non moi je n'ai rien avant 15h... J'effleure sa main, en allant poser ma propre tasse. Tu le sais bien.

J'attrape ma sacoche, et vais récupérer la clé de l'amphi de théâtre dans le casier d'une amie et collègue. Puis ouvre la porte de la salle des profs, et la lui tiens, pour que nous puissions y aller.

- ça me fait plaisir de te voir... Lui dis-je les mains dans les poches, alors que nous marchons côte à côte vers notre lieu de rendez vous, presque clandestin.

Encore une fois, je lui ouvre la porte, et la referme à clé lorsque nous sommes entrés. Sur le rang des premières sièges, je dépose mon sac, ma veste et sors mon portable pour brancher un morceau de musique.



Je grimpe sur la scène et lui tends la main, pour l'aider à venir me rejoindre. Sourire charmeur sur les lèvres, mais véritablement heureux de la retrouver. Je ne sais pas faire ce qu'elle fait depuis des années, deux mariages, 3 enfants, et un compagnon mort de maladie. Non moi, je ne sais pas faire ça, je papillonne sans réussir à me poser, mais j'ai mes préférences, et Abi en fera toujours partie, quand bien même, elle retournerait avec son premier mari.

Sa main dans la mienne, je viens me coller à elle, posant l'autre main sur sa chute de rein, la rapprochant de moi, pour entamer un mambo.

- Tu as meilleure mine.. comment vont tes enfants?

Je hochai la tête. Oui, je le savais bien qu’il n’avait pas cours avant un long moment. Nous avions donc bien assez de temps pour aller danser un peu. C’était peut-être étrange comme situation, s’évader quelques instants de la réalité du monde en allant danser, seuls tous les deux dans un amphithéâtre immense. Je le laissai aller rapidement chercher les clefs de notre repaire et havre de paix. Puis, je le suivis, pour que l’on rejoigne rapidement l’endroit. J’étais un peu excitée, comme à chaque fois que l’on prévoyait d’y aller. J’adorais danser. Vraiment, ce n’était pas une excuse cachée pour me retrouver seule avec Vern, j’étais vraiment une danseuse invétérée, et si je n’avais voué ma vie à la musique, elle aurait pu l’être à la danse. Quand j’étais petite, j’avais fait un peu de danse classique, mais rien de bien probant. Pour autant, je n’avais jamais arrêté d’apprendre et de danser pour le plaisir. Je revins dans le présent lorsque Vern m’expliqua qu’il était content de me voir. Je lui souris en retour, avant de lui répondre : « Moi aussi, Vern, si tu savais… » Il était vrai que notre relation avait connu des hauts et des bas. J’étais arrivée, j’étais repartie, puis revenue. Je ne savais plus où donner de la tête, et lui non plus.

Nous arrivâmes bien rapidement à l’amphi désigné. Vern nous enferma à clef pour que l’on soit bien tranquilles, pendant que je descendais les marches pour rejoindre le centre de l’amphi, notre scène improvisée. Je retirai rapidement ma chemise et la laissai sur les sièges, pour être plus à l’aise en dansant, alors que Vern nous lançait directement de la musique. Je souris en reconnaissant les notes entraînantes sur lesquelles nous allions nous abandonner au démon de la danse, et je n’attendis pas pour prendre la main de Vern et le rejoindre sur l’estrade pour entamer notre session. Il n’attendit pas pour me coller à lui et je souris en sentant son parfum musqué. Les pas se suivirent, et nos deux corps avançaient comme un seul homme au fil de la musique. Je lançai un regard tendre à mon partenaire de danse. Parler de mes enfants était quelque chose que j’adorais, mais je ne savais pas qu’il appréciait que l’on en parle pendant notre moment à nous. Néanmoins, j’étais contente de savoir que je ressemblais enfin à quelque chose. « C’est gentil, merci, répondis-je en serrant un peu plus sa main pour lui faire comprendre que j’étais heureuse qu’il me le dise. Ils vont très bien. Ils sont contents d’être enfin tous ensemble… ça devenait vraiment compliqué pour mon plus grand… » Je repensais à Franz, légèrement nostalgique de la période où tout allait bien. Il avait vécu des tas de choses et était beaucoup plus mature que tous les enfants de son âge. Il avait voyagé partout dans le monde avec nous, il avait appris beaucoup de choses… et il prenait à coeur son rôle de grand-frère, qu’il était heureux d’avoir retrouvé à plein temps. « En tout cas, tu as raison, je me sens bien mieux. » Il n’y était pas pour rien, bien sûr, parce qu’il était toujours très attentionné envers moi et je ne pourrais jamais assez le remercier.