Smile like you mean it.

Depuis trois ans, je rêvais de pouvoir faire ceci : apporter un déjeuner à l’hôpital pour passer du temps avec David pendant sa pause déjeuner. En espérant simplement qu’il n’ait pas d’urgence pendant tout le temps où je serais là. J’avais hâte de le voir avec sa blouse blanche et le voir dans son élément. Parce que s’il y avait bien un endroit où il se sentait comme un poisson dans l’eau, c’était ici. L’endroit était immense, encore plus grand que l’hôpital où il avait fait ses études, à Edimbourg. C’était impressionnant d’y entrer et encore plus impressionnant de vouloir y retrouver quelqu’un. Pour me donner du courage, je me répétais que si j’arrivais à retrouver mon chemin dans les couloirs, je lui en mettrais plein la vue, et j’aurais peut-être droit à une nouvelle soirée plutôt … active !

En arrivant dans l’atrium, à l’accueil, je fus tout d’abord éblouie par la blancheur de l’endroit. Au moins, on pouvait être sûr de bien être dans un hôpital pour que tout soit aussi net. Combien pouvait-il y avoir de médecins dans cet établissement ? Combien de centaines ? Et dix fois plus d’infirmières ? Autant d’aides-soignantes ! Autant de brancardiers ! Et tout le reste du personnel, celui qu’on oublie trop souvent… Cet endroit devait employer des milliers de personnes, pour en soigner tout autant ! Et retrouver David là-dedans, ce serait comme chercher une aiguille dans une botte de foin. Autant commencer par le commencement, de fait, et d’aller demander dans quel service il se trouvait à l’accueil. Et bien évidemment, il fallut qu’on me réponde qu’il était en intervention de soins, dans l’aile la plus lointaine du bâtiment. Et bien sûr, il fallait que je décline mon identité pour le prévenir de mon arrivée et que je dise qui j’étais pour lui. C’est ainsi que tout l’hôpital connaîtrait l’identité de la petite amie du docteur McCoy. Quelle tristesse…

De fait, la standardiste me demanda d’attendre sur l’un des fauteuils de l’atrium, bien en vue pour qu’elle ait de quoi me décrire auprès des autres commères. Je la voyais bien, je savais comment ça se passait dans ces services, et j’allais me faire un plaisir de leur donner une bonne image de moi. Je savais que l’ex de David travaillait ici, et je n’allais certainement pas la rencontrer aujourd’hui, de toutes façons, je ne savais même pas à quoi elle ressemblait. Pour que David soit tombé sous le charme, elle devait être mignonne, quand même. En tout cas… les filles de l’accueil auraient des trucs à lui raconter, quand elles la verraient. Il suffisait qu’elles soient bonnes copines avec elle, et elles pourraient leur raconter toutes les saloperies qu’elles voudraient… de toutes façons, je m’en fichais pas mal.

Au bout d’un moment néanmoins, j’en eus assez de sentir leur regard sur moi, et je partis m’installer sur un banc de pierre, en dehors de l’atrium. Au moins, elles ne me regarderaient plus, et ce serait bien mieux. Je poussai un long soupir en me demandant si j’allais devoir attendre David longtemps, et avec un sourire sadique, je pensai au fait que j’aurais dû me présenter comme étant sa femme. Ça leur en aurait bouché un coin et lui, ça l’aurait amusé ! Alors que je jouais avec mon portable, qui avait enfin un réseau potable et qui ne me coûtait pas une fortune à chaque texto, je sentis quelqu’un passer devant moi pour s’installer à l’autre bout du banc de pierre. Une jeune femme, avec une blouse, était en train de mordre à pleines dents dans un sandwich. Elle vit que je l’observais, et avant qu’elle ait le temps de dire quoi que ce soit, je lui souris.

« Bon appétit ! »

Je l’entendis me répondre après avoir avalé sa bouchée, et je retournai la tête vers mes genoux, en pianotant sur mon portable. Je ne voulais pas importuner cette pauvre femme, après tout, si elle travaillait ici, c’était qu’elle était en pause déjeuner et elle n’avait sûrement pas beaucoup de temps devant elle. Pourtant, j’avais envie de lui poser des questions sur l’établissement, sur l’ambiance qu’il y avait. Parce que David voyait toujours le bien partout, mais il n’était jamais au courant quand quelque chose n’allait pas… et pour le coup, quoi de mieux que de demander au personnel … ?

« Vous travaillez ici ? »

Et voilà, je ne pouvais vraiment pas m’en empêcher…

Smile like you mean it.

Automatiquement, la jeune femme me répondit par l'affirmative, en me disant donc qu'en effet, elle travaillait bien dans l'établissement. En même temps, j'étais idiote. Avec une blouse blanche, elle ne pouvait que travailler ici, parce que ce n'était pas comme l'uniforme des ambulanciers, qui était plus coloré... Alors que j'étais prête à retourner à mes oignons, en voyant qu'elle avait l'air vraiment pressée et occupée, par la même occasion, je ne m'attendais pas à ce qu'elle reprenne la parole, et pourtant, elle s'adressa de nouveau à moi, comme je l'avais fait pour elle :

« Vous avez quelqu'un d'hospitalisé . Parce que vous pouvez être rassuré, nous sommes très complétant. Nos patients sont le plus important ! »

Avec un sourire, je hochai la tête devant l'information. Evidemment que c'était les meilleurs. Combien de fois David m'avait vanté les mérites de cet hôpital et de ses collègues. Mais je voulais également le vérifier par moi-même. Alors que je n'y connaissais rien bien entendu. Mais je ne pouvais pas juger leurs connaissances, je jugeais plutôt l'aspect humain. En fait, je n'en avais absolument rien à faire, parce que je détestais ce pays, par rapport au mien, mais il fallait bien passer le temps !

« J'en suis sûre, oui ! Je n'en doutais pas une seconde. En fait, j'attends quelqu'un. On doit manger ensemble! »

Cette fois, je n'avais pas vraiment envie de dire que j'étais la petite-amie de David. Cette femme était une infirmière, ou bien même une médecin, et je ne voulais pas m'insinuer à ce point là dans les couloirs de l'établissement. J'espérais qu'elle ne me demande rien, mais quelque chose me disait qu'elle respectait pas mal la vie privée de ses patients. Et elle devait croire que j'en étais une, ou bien une accompagnante.

« Vous faites quoi ici ? Vous êtes médecin? »

De fait, je préférais embrayer la conversation sur elle, plutôt que sur moi. En fait, je voulais discuter avec quelqu'un. J'avais remarqué que c'était ce qui me manquait le plus, c'était d'avoir une vraie conversation avec une inconnue. Chez moi, à Edimbourg, je pouvais parler à n'importe qui, j'étais toujours dehors, ou au travail... et ici, je ne faisais absolument rien. Et ça m'ennuyait au plus haut point, c'était d'ailleurs pour ça que j'étais venue ici pour manger avec David...

Smile like you mean it.

Apparemment, parler de son travail était une bonne idée, parce que je vis immédiatement un sourire apparaître sur son joli visage. Elle avait de la chance, elle était plutôt mignonne. Elle devait en faire tomber des garçons, elle. Enfin, j'étais dure avec moi-même. Déjà parce que j'attirais les garçons, quand j'étais au lycée, et ensuite, parce que je n'en avais pas besoin, étant donné que je n'avais toujours voulu que David et que je l'avais eu.

« Et oui médecin, encore en étude, mais je m'accroche. L'internat n'est pas facile, mais je tiens bon, j'aime mon métier ! Sauver des vies, il n'y a pas plus beau non ? »

Une interne ! Oh, alors elle était toute jeune. Je me souvenais encore des années d'internat de David. C'était l'un de ceux qui s'accrochaient le plus, et il en voulait vraiment. Il était le meilleur de sa promo, le meilleur de tout l'hôpital, mais c'était aussi celui qui travaillait le plus, alors qu'il n'en avait pas besoin. Tant qu'elle en voulait, elle y arriverait. Et elle avait l'air plutôt motivée en tout cas. Et j'étais d'accord avec elle : il n'y avait pas mieux que sauver des vies. J'enviais vraiment tous ces médecins, qui vivaient pour aider les autres. Moi, tout ce que je faisais, c'était diriger ceux qui leur prenaient de l'argent ! Le commerce était un milieu impitoyable, et pourtant j'adorais ça. Diriger, donner des ordres et qu'on m'écoute. Pourtant... sans mon père, je ne serais pas à ce poste. Et j'avais dû perdre beaucoup d'assurance depuis la dernière fois où j'avais travaillé... enfin, je n'y étais pas encore... je n'avais toujours rien décidé, parce que je ne savais toujours pas vers quoi me tourner exactement : reprendre mon activité de cadre de service et m'engager, comme David, pour un temps indéterminé ? Ou bien continuer les traductions que je faisais ponctuellement pour payer les voyages pour retrouver David ?

« Mais j'aime tellement ce que je fais que je pourrais en parler sans m'arrêter... »

Sans rien laisser paraître, je me rendis compte que j'étais encore partie dans mes pensées, et que j'avais dû louper un bout de sa phrase. Je me mordis la joue pour ne plus faire ça, mais je savais que ça allait continuer de se produire. De toutes façons, je partais tout le temps dans mes pensées, j'étais toujours dans la lune. On me l'avait bien assez souvent reproché ! En tout cas, ce qu'elle me disait me faisait beaucoup penser à David. Ca devait être un tic de médecin ça. Ou juste de passionné. Parce que David pouvait lui aussi parler de son travail pendant des heures. Tout ce qu'il avait pu me raconter pendant nos jeunes années, quand il était à la fac ou bien en externat, puis en internat... je n'avais rien oublié. Et même aujourd'hui, chaque soir en rentrant, je l'écoutais me parler de ces patients... et j'adorais ça ! C'était sûrement parce que c'était David que j'adorais ça, mais quand même.

« C'est normal de parler de son boulot quand on l'adore ! Et puis ça doit être tellement prenant... Vous avez déjà choisi une spécialisation? »

Je savais que les internes devaient déjà s'orienter vers quelque chose, théoriquement. Mais comme David en avait eu l'expérience, les internes étaient plutôt là pour s'occuper de tout et n'importe quoi évidemment, et ils passaient leur temps à tourner dans les différents services, que ce soient aux urgences ou dans des spécialisations diverses. Ce qui n'était fondamentalement pas idiot d'ailleurs, parce qu'ils pouvaient tout découvrir au moins, même s'ils avaient déjà une idée de base.

Smile like you mean it.

La pédiatrie. C’était bien un domaine que David  ne choisirait pas. Il n’était pas doué avec les enfants, il ne l’avait jamais été, et il ne le sera que lorsqu’il deviendra père. Il était encore jeune pour ça. L’entendre parler d’enfants me laissa pensive, et je ne savais pas si c’était parce que j’imaginais David entouré d’enfants ou bien si c’était parce que je trouvais que la pédiatrie était un domaine bien dangereux pour le moral. Enfin, je comprenais ses motivations, et j’étais bien d’accord avec elle : il n’y avait rien de mieux que de voir un enfant sourire, surtout s’il était malade auparavant. Je l’aimais bien, cette petite, et même si je trouvais qu’elle avait l’air bien trop guillerette, j’aimais sa façon de parler, de s’accrocher à ce qu’elle voulait. Elle y arriverait, comme ça, c’était certain !

« Bien sur ça a un côté plutôt horrible quand c'est le contraire, et les crie d'une mère, ce n'est pas une chose qu'on a envie d'entendre souvent. C'est bien pour ça que j'ai qu'une envie c'est de sauver les enfants. Mais je dois encore finir mon internat avant de me pencher sur ma spécialisation. »

Je n’osais même pas imaginer ce qui m’arriverait si jamais l’un de mes futurs enfants tombait gravement malade. Après ce que j’avais traversé sans David, je me disais que rien ne pourrait être pire, puis, je me rappelai que malheureusement, les parents étaient bien impuissants et regardaient leurs enfants souffrir et attendre de pouvoir aller mieux. Je ne voulais pas de ça, de cette inquiétude froide et terrible. De toutes façons, nous n’y étions pas encore, et je savais bien que David me dirait catégoriquement non.

« Vous allez être brillante, j’en suis persuadée ! Vous avez l’air d’être passionnée et si vous appréciez les enfants, ils vous aimeront sûrement également, non ? »

Je lui fis un nouveau sourire poli, avant de me dire que je devrais peut-être la laisser tranquille. Elle devait peut-être retourner travailler, ou bien simplement être tranquille pendant cinq minutes. Mais pourtant, elle avait l’air contente de parler, elle aussi.

« Désolée, je vais vous laisser, vous devez sûrement être très occupée ! »

Néanmoins, j’aurais aimé parler plus longtemps… et peut-être que si elle le voulait également, nous pourrions continuer notre conversation. Après tout, David n’était pas encore là, et personne ne m’avait appelée pour me dire qu’il aurait du retard ou qu’il avait une urgence…

Smile like you mean it.

Avec un léger rire, la jeune femme me répondit qu’à l’hôpital, chacun était toujours occupé. Il était vrai que selon David, ça bougeait toujours là-dedans. Les urgences étaient blindées de monde, les services étaient toujours presque tous remplis, et la petite fourmilière que l’hôpital formait n’arrêtait jamais de bouger, le jour comme la nuit. D’ailleurs, je détestais quand David devait venir travailler la nuit. Non pas que je n’aime pas rester seule, mais mes nuits, je préférais les passer dans ses bras plutôt que dans une moitié de lit froide.

« De toute façon, j'ai le droit à une pause déjeuner, j'ai été assigné aux urgences aujourd'hui, alors s'ils ont besoin de moi, il y a le bipeur... Et j'ai bien envie de profiter de ma pause. »

Avec un sourire, et en voyant qu’elle se tournait complètement vers moi pour discuter, je me tournai également sur le banc de pierre, en prenant garde à ne pas salir mes vêtements et à ne pas faire tomber le plat qui contenait nos deux déjeuners, à David et moi. Une fois bien assise en face d’elle, je dus réfléchir pour savoir où allait nous mener cette conversation. Pourquoi lui parlais-je déjà ? Ah oui, pour avoir une vie sociale, un peu. Même si je doutais que cette fille, je ne la reverrais sûrement jamais. Elle était encore interne, et même si peut-être, elle travaillait avec David de temps en temps, ce ne serait pas son genre d’inviter des collègues à la maison – déjà, il faudrait réussir à les caser dans notre studio – et sûrement pas des internes. Enfin, en réalité, je n’en savais rien, mais j’imaginais que ça fonctionnait comme ça. A moins qu’il n’y ait affinité, les internes ne devaient certainement pas se faire inviter par les titulaires…

« Et votre internat, vous l’aurez terminé dans combien de temps alors ? »

Et voilà, encore son boulot, je ne savais pas sur quoi embrayer. Je ne savais pas si je devais parler de moi, je ne savais pas si je devais parler de choses personnelles.. pour moi, c’était des choses qui ne se faisaient pas avec une simple inconnue. Mais pourtant, qu’essayais-je de faire alors ? Je faisais connaissance. Et je ne m’y prenais sûrement pas de la bonne façon, mais je n’avais jamais été vraiment douée pour ça. Je m’y prenais beaucoup mieux quand quelqu’un nous présentait l’une à l’autre. Sauf que nous n’étions que toutes les deux, et pour moi, le challenge était là !  

Smile like you mean it.

La jeune femme en face de moi – dont je ne connaissais même pas le prénom, du moins pas encore – parut réfléchir quelques instants pour savoir combien de temps il lui restait. Je souris, en me demandant si parfois, en travaillant dur à l’hôpital, on ne perdait pas la notion du temps. Après tout, c’était possible non ? Enfermé là-dedans, seules les horloges pouvaient renseigner sur l’heure qu’il pouvait être. Il y avait certes des fenêtres, mais ils n’avaient sûrement pas le temps de regarder si le soleil était couché ou non. Dans un sens, je ne pourrais jamais travailler dans un hôpital et même parfois, je me demandais comment faisait David. Mais il adorait ça… ça devait faire passer tous les inconvénients à la trappe.

« Oh, encore quelques années, malheureusement, si tout va bien je peux finir dans 2 ans, et entamer ma spécialisation. J'ai vraiment hâte d'y être... »

Deux ans encore ! Elle était presque au bout, c’était bien. Elle avait fait le plus gros, et elle n’avait pas l’air de vouloir abandonner, c’était une bonne chose. J’imaginais clairement qu’il devait y avoir beaucoup d’étudiants en médecine qui avaient abandonné les rangs à cause de la pression. J’avais eu plus de chance dans ma formation, puisque le taux de pression était moins fort.. et je n’avais pas peur de ne pas réussir à avoir mon diplôme. Après tout, même si je n’avais réussi mon master, j’aurais quand même pu entrer dans l’entreprise de mon père et la gérer par la suite, même si pour l’instant, je n’étais que cadre. Je ne souhaitais pas reprendre les rênes, même si je n’aurais pas le choix un jour ou l’autre. Mais tant qu’il était bien portant, je lui laissais avec plaisir ce rôle.

« Et vous vous faites quoi dans la vie ? »

Visiblement, la jeune femme en avait assez de devoir parler d’elle, ce que je comprenais assez aisément, et de fait, elle me faisait passer le flambeau. Avec un léger sourire, je ne passai pas par trente-six chemins pour lui raconter ce que je faisais de ma vie :

« Pour l’instant, je ne fais rien. Je dois attendre avant de retrouver un travail, en fait je viens d’arriver à Toronto et il faut qu’une place se libère. Je suis dans le commerce international. »

Cela faisait des mois que je n’avais pas parlé de mon vrai boulot, pas les traductions que je faisais par-ci, par-là. Tout ça, ce n’était rien. C’était pour payer les billets d’avions que je refusais que mes parents m’avancent. Avec ces conneries, j’avais dépensé toutes mes économies, et du coup, je devais retrouver un boulot fissa. Or, c’était plus difficile que je ne le pensais, parce que mon père ne pouvait pas virer des gens sans raison… et je ne voulais pas qu’il le fasse non plus.

« Du coup, en attendant, je vadrouille un peu. Je découvre la ville. Ça fait longtemps que vous habitez ici ? »

Et hop, je ne pouvais pas m’en empêcher, il fallait que je revienne sur elle. Une sale manie, ça, que je gardais de mes trois ans à travers le monde. J’avais l’habitude de ne pas trop parler de moi, préférant questionner les autres pour découvrir des indices concernant David. Et du coup, je gardais quelques réflexes plutôt désagréables.  

Smile like you mean it.

En face de moi, la jeune femme comprit que nous allions devoir nous poser des questions l’une à l’autre, chacune son tour, pour savoir des choses sur moi, parce que ça n’allait pas venir en quelques secondes. Elle était vive d’esprit, c’était une chose, ainsi, tous les moyens intrinsèques que nous pouvions trouver, nous les femmes, elle les connaîtrait et elle saurait exactement ce que je voulais dire ou signifier. Comme moi je le saurais pour elle. C’était une sorte de code que nous avions toutes au fond de nous, et qui faisait carrément flancher les garçons. Combien de fois David essayait de comprendre ce que j’avais en tête sans jamais y arriver ? Alors qu’un regard avec une femme aurait suffi pour que l’on comprenne ? Des tas de fois, bien sûr.

« Ça va bientôt faire 1 an que je suis arrivé ici... pour le début de mon internat. »

Un an. Oooh, alors elle non plus, elle n’était pas d’ici. Il était vrai que son accent ne ressemblait pas à ceux des autres, ceux qui venaient bel et bien de Toronto. Mais il y avait un mélange de plusieurs accents, et je n’étais pas capable de déterminer d’où elle venait. Ce n’était pas bien grave, peut-être que la conversation nous amènerait à en parler. Elle s’avérait être très intéressante, et peut-être que nous pourrions… je ne sais pas… être amies pendant dix minutes, le temps de discuter !

« Pourquoi êtes-vous venue à Toronto ? »

Devais-je lui donner la véritable raison ? Je n’avais pas parlé à personne de tout ceci, à part à mes parents, à David lui-même, et à quelques amis proches, à Edimbourg, qui m’avaient soutenue et qui attendaient toujours de pouvoir me revoir, en compagnie de mon homme. Eux, ils comprenaient. Mais une inconnue serait-elle capable de comprendre ce que j’étais capable de faire par amour ? Peut-être que oui, peut-être que non. En tout cas, je ne me sentais prête à risquer de me faire prendre pour une folle, et si je n’allais pas lui mentir, j’allais néanmoins lui cacher un tant soit peu la vérité.

« Mon ami habite ici et je suis venue le retrouver. »

Du coup, sa question me donnait l’idée de ma suivante, et bien entendu, je m’empressai de la lui poser pour ne pas perdre de temps et pour qu’elle n’attaque pas avec une autre question :

« Et vous ? Pourquoi être venue à Toronto pour voir internat ? Vous venez d’où ? »

Je trichais un peu en lui posant deux questions, mais bon.. ça faisait avancer l’affaire comme ça et j’étais sûre qu’elle ne m’en voudrait pas. Apparemment, elle aimait bien parler, que ce soit de médecine, d’elle, de son parcours… alors qu’elle parle ! Moi j’aimais bien écouter les gens !

Smile like you mean it.

Brièvement, très rapidement, elle m’expliqua qu’elle venait de la banlieue de Londres, Harrow plus précisément. A ces mots, je me redressai encore un peu : c’était une de nos voisines, alors ! Entre Ecossais et Anglais, la tension était souvent palpable, mais je n’étais pas franchement patriote au point de dire que je voulais que nos deux pays soient séparés. C’était quelque chose que je n’évoquais pas, parce que je ne voulais pas faire de remous… peut-être qu’elle avait son propre avis, et si ce n’était pas le même que le mien, je préférais ne pas en parler. Je ne savais même pas ce qu’en pensait David en réalité… nous n’en avions jamais parlé, lui et moi, durant tout ce temps ! Disons qu’avant, ce n’était pas vraiment un sujet qui nous intéressait ! Et donc, elle était Anglaise… et elle avait décidé de venir jusqu’ici, elle aussi. Elle avait dû suivre un homme, sinon, il n’y aurait aucune raison pour qu’elle aille aussi loin de chez elle. Tout comme moi.

« Écossaise n'est-ce pas ? »

Avec surprise, je hochai la tête, avant de me dire qu’évidemment, si elle était anglaise, elle devait bien reconnaître notre accent si prononcé. Et encore, le mien s’était adouci avec le temps, et surtout parce que mes parents – et ceux de David également – ne parlaient pas avec un accent à couper au couteau. Disons que nous avions toujours vécu en ville, et que de fait, ce n’était pas non plus impossible de nous comprendre. Même moi, parfois, j’avais du mal à comprendre certaines personnes en Ecosse.

« En effet, d’Edimbourg ! C’est étrange de croiser une voisine à l’autre bout du monde… »

Pour cause, je ne pensais pas qu’il y avait tant d’Anglais que cela au Canada. Après tout, l’histoire de ce pays était vieille certes de plus de quatre cent ans, mais elle faisait encore remuer les foules, de temps en temps. Et puis même, d’un point de vue climatique, il faisait plus froid ici, même si en Ecosse, nous étions aussi mal lotis. Mais à Londres, le climat était plutôt sympa, d’un point de vue de nordiste !  

Smile like you mean it.

Le visage de la femme en face de moi semblait s’être illuminé, mais dans le même temps rembruni, sans que je sache trop pourquoi. Peut-être que repenser à notre île natale était quelque chose de douloureux pour elle ? Je n’en savais rien, je n’étais pas sûre de vouloir le savoir. Elle avait ses raisons, son histoire, et si moi je n’avais qu’une envie : rentrer en Ecosse, ce n’était sûrement pas le cas de tout le monde. En tout cas, elle semblait contente d’avoir quand même rencontré une compatriote.

« Il y a une petite communauté Anglaise ici... j'en ai rencontré quelques-uns ! »

Oh c’était bon à savoir, si jamais je ne pouvais plus supporter les Canadiens et que je voulais faire des rencontres avec des vrais Anglais. Enfin pour le moment, en deux mois passés ici, je ne me plaignais vraiment pas d’autre chose que du climat. Les gens étaient adorables et ne se prenaient pas la tête. Il y avait bien sûr quelques exceptions… mais ce n’était pas important et finalement, j’aimais bien vivre ici, même si ça ne valait pas Edimbourg. Mais David ne pouvait pas rentrer en Ecosse maintenant, même pour quelques jours. Il avait trop de mal, rien qu’à y penser, et j’avais décidé de bien lui laisser le temps qu’il voulait. Mais un jour, il faudrait bien qu’il réussisse… et il faudrait que je lui force la main. S’il ne voulait pas vivre de nouveau en Ecosse, ça ne me dérangerait pas, mais il faudrait qu’on rentre de temps en temps…

« C’est sympa de savoir qu’on est pas seule dans ce grand pays. Tout est dépaysant ici. Au début, j’avais beaucoup de mal à m’y retrouver… Et pourtant, je suis habituée à voyager et tout ça maintenant mais… je sais pas, c’est si différent… »

Je commençais à parler un peu plus à cœur ouvert devant elle, signe que je me sentais bien et que j’étais capable de lui faire un minimum confiance. Elle n’avait pas l’air plus méchante qu’une autre… et c’était bon à savoir ! Au moins une collègue de David qui était gentille !

« Je m’appelle Mackenzie ! Et vous ? »

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Bizarrement, après que je lui aie dit mon prénom, la jeune femme sembla complètement perdue, comme surprise. Pourtant, je n’avais rien dit d’étrange, simplement mon prénom. Elle avait un problème avec les Mackenzie ou quoi ? Elle avait peut-être vécu une expérience traumatisante avec une Mackenzie, c’était possible. Je me souvenais d’une fille que je détestais au lycée, qui s’était moquée de moi et de ma relation avec David. Je me rappelais très bien d’elle, elle s’appelait Kimberley, et si je ne m’abusais, elle n’avait jamais réussi, s’était retrouvée enceinte à dix-neuf ans, d’un mec qui l’avait laissée aussi sec… Même si c’était méchant de se moquer, c’était de bonne guerre. Personne n’avait le droit de faire des commentaires sur la relation que j’entretenais avec David ; personne ! Depuis ce temps, à chaque fois que je rencontrerais qui s’appelait Kimberley, ou même rien que Kim, je tiquais. C’était abominable, mais du coup, je comprenais la réaction de cette jeune femme, et je ne lui en voulais pas du tout.

Par la suite, elle me répondit en bégayant qu’elle s’appelait Ella. Je lui fis un sourire en remarquant que c’était un très joli prénom. La dénommée Ella, elle, me regardait toujours d’un air ébahi et en même rageur et je n’arrivais pas à savoir si c’était une bonne chose ou non. D’un coup, je ne savais pas si je devais m’excuser d’avoir donné mon prénom ou non… peut-être que j’aurais mieux fait de me taire. Et pourtant, je pensais bien faire, en réalité. C’était le premier pas vers une vraie discussion, une vraie connaissance, non ? Et puis, c’était plus sympa de savoir le prénom de la personne en face de soi… Du moins, je le voyais comme ça !

« Tout va bien ? Vous avez l’air vraiment contrariée, j’ai dit quelque chose qu’il ne fallait pas ? »

Ça pouvait arriver, et si tel était le cas, j’en étais vraiment navrée. Ce n’était pas vraiment dans mes habitudes d’embêter les gens…

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Rapidement, Ella reprit ses esprits et elle me sourit pour me rassurer, même si ce n’était pas vraiment rassurant, en fait. Elle semblait perturbée, pour une raison que je ne connaissais pas, et j’avais peur d’avoir été trop loin dans quelque chose … et je ne savais pas vraiment pourquoi. Ça n’avait peut-être pas de rapport avec moi, après tout. Elle me répondit rapidement que tout allait bien, et que je n’avais pas à m’inquiéter pour elle. Bon. D’accord. Je n’en croyais pas un mot, mais peu importait. Je n’étais pas là pour faire dans le social, pas avec une inconnue et puis je m’en fichais un peu. Je l’appréciais un minimum certes, mais je n’étais qu’une connaissance pour elle. Et encore…

« Vous vous sentez bien, à Toronto Mackenzie ? »

Si je me sentais bien à Toronto ? Ma réponse serait en demi-teinte, sûrement. Je n’aimais pas ce pays et je n’aimais pas cette ville, en comparant à Edimbourg. Tout était différent : les gens, la nourriture, les routes, les bâtiments. Je n’avais eu aucun point de repère en arrivant ici deux mois auparavant. Je ne voulais même pas y rester. Je pensais qu’on allait repartir très vite ; je n’avais pas prévu que David veuille rester parce qu’il était engagé à l’hôpital et tout ça.

Et puis dans un sens, ce n’était pas mal aussi. Je découvrais une nouvelle culture, c’était vraiment agréable et intéressant. Surtout que je ne travaillais pas encore, et du coup, j’étais toujours en vadrouille quand David travaillait. Et quand il était avec moi, il me faisait découvrir ce que je n’avais pas encore vu et qu’il avait trouvé par lui-même. Alors la vie se faisait moins difficile.

« Je ne dirais pas non à retrouver mes Highlands alors que je les détestais quand j’étais gamine… si ça peut vous donner une idée ! Enfin ça va.. je m’habitue doucement à cette nouvelle ville ! »

Je n’osais pas lui retourner la question, de peur de la contrarier de nouveau. Et puis, si elle était restée depuis un an, c’était qu’elle aimait bien. A moins que son internat ne puisse se faire ailleurs qu’à Toronto, maintenant qu’elle l’avait commencé ici… Roh et puis finalement je voulais jouer ma curieuse et lui poser enfin la question qui me brûlait les lèvres !

« Pourquoi être partie d’Angleterre ? Vous ne m’avez pas répondu tout à l’heure… »

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J’attendais la réponse à ma question. Pourquoi une Anglaise voudrait venir ici, à Toronto, dans un pays bien moins grandiose que le nôtre ? Après, je savais que j’étais une fervente patriote, et que jamais je ne pourrais renier mes origines, et peut-être que tout le monde ne pensait pas la même chose que moi. Mais après tout, le Royaume Uni était plutôt génial, d’un point de vue global et le Canada… c’était bien pour des vacances, non ?

« J'ai préféré m'éloigner de l'Angleterre pour diverses raisons, mais surtout pour retrouver une personne de ma famille qui m'est très cher. Et puis j'avais réussi à être prise dans cet hôpital si réputé, je n'ai pas réfléchi longtemps pour accepter. »

Dans sa réponse, je compris un peu mieux pourquoi elle était partie. Diverses raisons… ça voulait dire quelque chose de personnel. Elle devait sûrement avoir eu des problèmes avec sa famille, ou avec un petit-ami un peu trop jaloux, ou quelque chose du genre. Pourquoi partir sinon ? Par un besoin de voyager, de découvrir une autre culture ? Non, personne ne faisait ça comme ça, en partant travailler dans un hôpital pour devenir un vrai médecin ! J’étais quasi-sûre d’avoir raison. Je m’y connaissais maintenant, en départs et en voyages.

« C’est vraiment une chance que vous ayez pu avoir ce poste, alors ! Mais c’est bien… si vous êtes plus heureuse ici que vous ne l’étiez en Angleterre… »

Elle pouvait avoir toute ma sympathie… après tout, c’était ce que David avait fait aussi, quand il était parti d’Ecosse pour voyager : il s’était enfui certes, mais il avait trouvé un endroit sur cette planète où il se sentait mieux. Et moi, je le suivrais jusqu’au bout du monde pour être simplement avec lui.

« En réalité, je suis moi-même partie d’Ecosse pour retrouver quelqu’un ici. Je peux comprendre, du coup ! »

Oui, je faisais un gros doigt à mes principes de base et décidai de partager avec elle des souvenirs et des histoires. Après tout, n’était-ce pas ce qu’elle venait de faire avec moi ?

Smile like you mean it.

C’était comme si Ella savait déjà tout ce que je racontais, et c’était étrange. Peut-être qu’elle était simplement assez imaginative pour comprendre ce que je voulais raconter par la suite. Elle semblait réfléchir à tout cela, au périple que j’avais fait pour rejoindre David. Peut-être qu’elle le connaissait et qu’ils avaient discuté de ça. J’en doutais, parce que ce n’était pas son genre, de raconter sa vie. Il préférait parler de médecine plutôt que de ses problèmes personnels… mais qui sait ? peut-être qu’il avait un peu changé et qu’il avait voulu se confier ? Et puis ça faisait deux mois que j’étais là, peut-être qu’un jour, il avait voulu raconter pourquoi il était si heureux chaque matin…

« Vous l'avez cherché longtemps ?
-Trois ans ! »

Le regard d’Ella se voila brièvement, chose que je ne compris pas. Quant à moi, j’étais toute à mes pensées, revoyant ces trois ans défiler. Nous en avions déjà parlé avec David, et je devrais arrêter de ressasser tout cela… mais je ne pouvais pas, c’était comme si j’oubliais un peu qui j’étais. Malgré moi, malgré nous, ces trois ans faisaient partie de notre histoire, en tant qu’individu et en tant que couple. Et nous ne devions pas oublier le calvaire que nous avions vécu… pour ne pas que ça recommence !

« En fait, il a beaucoup voyagé… c’est compliqué toute cette histoire… Il ne savait pas que je le cherchais et je l’ai suivi partout jusqu’à ce qu’il arrive ici et qu’il soit obligé de rester. »

Je ne voulais pas parler des détails, ce n’était pas la peine d’en dire trop, surtout qu’elle n’avait rien à voir dans cette histoire…