- Bien sûr que non...

Ceci est un mensonge éhonté mais je ne peux tout simplement pas résister à ma belle Emma. Il suffit de l'entendre s'approcher de moi pour me tirer de mon sommeil le plus profond. J'entrouvre un œil afin de l'apercevoir se glisser sous les draps à la recherche de mon torse ; elle me semble épuisée. Je l'accueille simplement, enroulant mes bras autour de son corps brûlant puis dépose plusieurs baisers sur son front. Celui-ci est profondément moite, traduisant une maladie qui la poursuit depuis bientôt trop longtemps à mon goût. Je soupire faiblement et songe que je devrais aborder une fois de plus le sujet du médecin aujourd'hui mais je ne le fais pas, du moins pas tout de suite. Ce n'est pas le moment.

- Mauvaise nuit ? Hasarde ma voix tandis que je caresse l'une de ses joues.

Collées l'un à l'autre, je sais qu'elle ne pourra pas me mentir, même si sa fièvre peut me dérouter. Finalement porter un simple caleçon n'était pas une idée si mauvaise...
Je caresse son visage, son cou, ses épaules, ses bras puis ses fesses tout en douceur, juste assez pour la détendre. Je veux qu'elle pense un peu à autre chose, qu'elle se sente ne serait-ce qu'un peu plus légère serait une excellente nouvelle... Mais au fond j'ai peur. Très peur. Les possibilités sont multiples au vu de son état et cette angoisse qui ne fait que grandir en moi n'aide pas mon quotidien ; je n'aime pas cette incertitude qui joue avec mes nerfs.

La voix enrouée de ma chère et tendre me pouce à davantage la regarder. Emma a toujours été une femme magnifique et cela m’avait totalement mis à genoux dès notre rencontre. Elle m’avait semblé si radieuse, si souriante, si délicat que mon cœur s’était offert à elle dans la seconde et il m’est impossible d’oublier que je l’avais demandé subitement en mariage à peine m’avait elle saluer. Ce souvenir fugace ébranle mon esprit encore endormi tandis que j’écoute minutieusement la question de mon épouse. J’acquiesce brièvement tout en me redressant puis dépose un baiser sur ses lèvres.

- Oui, ne bouge pas. Je m’habille et je t’y emmène trésor.

Les surnoms sont choses courantes entre nous, depuis le départ d’ailleurs. Je quitte les draps subitement avant de piocher dans ma commode pour une tenue décontracté. Une fois habillé, j’envoie un message aux autres employés du café pour expliquer les raisons « vagues » de mon absence du jour ; ce sont des jeunes gens intelligents ! Il n’y a pas de raison que tout tourne au vinaigre si je disparais exceptionnellement.
Le regard tout d’abord encré sur l’écran de mon cellulaire, finit par dériver en direction d’Emma. Je glisse rapidement mon téléphone dans la poche de mon pantalon pour mieux la soulever. Ma douce est aussi légère qu’une plume, peut-être trop même, et c’est bien cela qui m’affole. Je finis par la déposer confortablement sur la place du passager à l’avant de la voiture puis prend ma place de conducteur. De temps à autres durant le trajet, je serre sa main dans la mienne comme pour la rassurer. Je serais toujours là. Toujours.
L’arrivée à destination est plus rapide que prévu et c’est les bras portant Emma que je cours à l’accueil.

- S’il vous plaît… C’est ma femme. Elle est très mal depuis plus d’une semaine déjà et nous sommes très inquiets. Dis-je à bout de souffle en fixant les infirmiers circonspects.

Ce balais infernal qui commence me donne pratiquement la nausée, mais je ne peux rien n'y faire. A peine ai-je poser Emma sur un lit "convenable" qu'on me l'arrache pour faire des examens. Rongé par l'inquiétude, j'attends en la regardant. Lorsqu'elle s'endort tout contre moi dans la salle d'attente, je préviens tant bien que mal nos familles, nos proches ainsi que les employés du café, demeurant le plus discret possible. Tout le monde envoie le même genre de message signifiant soutien et amour, pourtant je me sens terriblement seul. Le temps devient long. Très long. J'ai l'impression d'être empêtré dans une mélasse informe et cet immobilisme soudain m'agace. D'autant que la mine pâle de mon amour reposant sur mes genoux m'affole. Je caresse de temps à autre ses cheveux en soupirant.

L'entrevue avec le médecin est courte, mais suffisamment longue pour m'inquiéter. Après, je ne comprends plus trop ce qui se passe. Je remplis des papiers de façon mécanique en priant pour que l'on ne me sépare pas d'Emma. Je les vois s'agiter autour d'elle et cela me rend fou. Moi, je suis là, je coche des cases... Je suis impuissant. L'horreur.

Finalement, après ce trop plein de papiers, une infirmière s'approche. On me dit que je peux rester près de mon épouse et rien ne pourrait me faire plus plaisir. J'essaye de soutirer davantage d'informations concernant son état, mais rien n'y fait. Les bras ballants, je rejoins ma douce. Installé dans le fauteuil le plus proche, ma main reste noué à la sienne.

- Ca va aller... Dis-je dans un murmure en la regardant amoureusement.

Il y a tant de choses que je n'ai pas pu lui dire... C'est seulement maintenant que j'y pense. C'est impossible qu'elle m'échappe maintenant. pas après notre bataille pour le café, pas après qu'on ai parlé d'avoir un bébé. Non. Ca n'arrivera pas. J'embrasse doucement le dos de sa paume comme pour sceller cette promesse que je viens de passer avec moi-même.

- Je suis là... Tout va s'arranger.

Une simple berceuse que je lui répète pour la rassurer.

J’écoute attentivement les propos de ma chère et tendre en déposant un baiser sur son front avant de secouer vivement la tête. Elle ne devrait pas se sentir coupable ! Quand bien même mon inquiétude semblait légitime… qui aurait pu imaginer que ma parano serait confirmé ? Je noie le bleu de mes yeux dans le sien dans un petit sourire retenu. Mes doigts caressent toujours sa joue comme un simple mouvement de réconfort.

- Non trésor, on ne pouvait pas savoir… Ne t’en fais pas.

J’embrasse cette fois le bout de son nez puis reporte mon regard sur nos doigts entremêlés ; un léger petit rire m’anime.

- On se tient toujours la main de la même façon depuis qu’on s’est rencontré. Ca n’a jamais changé.

Mes yeux rencontrent de nouveaux les siens tandis que je l’observe. Elle est mon tout ; comment penser, imaginer à une existence sans elle ? Sans son rire ? Sans ses courbes ? Sans nos rêves ? J’inspire profondément avant de parler une nouvelle fois.

- Tout comme mon amour pour toi…

Je presse mon front contre le sien, fermant les paupières pour sentir toute la moiteur qui émane d’elle.

- Je ne t’abandonnerais pas. Jamais. On a une famille à construire et un café à faire tourner. Ensemble.

Tout ce que je lui souffle, je n’ai cessé d’y songer depuis un moment. Je veux des enfants qui posséderont sa beauté et sa gentillesse ; je la veux cette vie-là ! Et ce n’est pas une maladie merdique qui m’arrachera cette douce utopie. Non. Je me battrais autant de temps qu’il le faudra pour contrer ça !

L’arrivée du médecin me laisse un instant perplexe jusqu’à ce que l’annonce tombe. Fatale. Inévitable. Je respire à peine tandis que mes doigts pressent ceux de Emma dans la mienne ; comment allons-nous faire ? Non, nous allons le faire ! Je serre fortement ma chérie contre moi tant elle semble faible. Un silence pesant s’abat dans la chambre avant que je ne prenne la parole.

- C’est soignable, n’est-ce-pas ?

Le médecin acquiesce et aussitôt mon esprit s’active pour trouver une « solution ». Je reporte mon attention sur Emma.

- Très bien. Ecoute, un ami de mon père dirige une clinique vraiment super pas très loin de là…. Ils pourront te prendre en charge rapidement. Je vais tout faire pour que tout aille bien, d’accord ?

J’embrasse sa paume tendrement en tentant de retenir mes larmes. Mon ange… Mon très cher ange… J’aimerais encaisser la nouvelle sans sourcille, mais l’émotion est très forte. Calmement, je ravale ma tristesse avant de congédier le docteur pour nous laisser le temps de réfléchir. Je réajuste ma veste machinalement puis me perd un instant dans mes pensées.
Il lui faudra une chambre, des soins adaptés ainsi qu’une équipe pouvant veiller sur elle de façon suffisante les premiers temps. J’extirpe mon cellulaire de ma poche en tapant machinalement dessus.

- Je vais voir pour faire installer un système de stérilisation pour l’appartement. Plus vite ce sera fait et mieux ce sera !

Je ne suis plus un homme. Je suis une machine. Une machine prête à tout pour protéger ce qu’elle a de plus précieux. Les yeux rivés sur mon écran je ne regarde pas les prix ! J’ai les moyens et je ne vais pas m’en priver, du moins pas pour elle. Jamais pour elle.