Quatorze heure trente. La sonnette du four résonne dans la cuisine. Délaissant l'une des tables en bois de la petite salle face aux présentoirs des pâtisseries, Aaliyah regagne la pièce aux meubles inox. Attrapant un gant en passant, elle sort les cupcakes, après les avoir observé de la porte entrouverte. La chaleur qui s'en dégageait assurait une cuisson parfaite et régulière. Satisfaite, elle pose la grille brûlante sur le plan de travail. Le temps qu'ils refroidissent, elle récupère le glaçage fait maison et les quelques décorations fines, comestibles. Mais pas que. Cette commande, un coursier la récupère dans une demi-heure pour des clients particuliers. Un anniversaire dans les quartiers huppées. Les six gâteux, viennent rejoindre la douzaine déjà prêtes. A client particulier recette particulière. Et avec celle ci, elle était sûr de les voir fidéliser. Elle sourit, refermant la boite avant de la parer d'un ruban, qu'elle entortille avec la lame d'un ciseau. La boite rejoint un sac en carton recyclé et recyclable. Le trip bobo chic écolo fait vendre. Les gens s'achètent une éthique en même temps que leurs drogues.

Elle prend plusieurs fruits dans une coupe, les découpes soigneusement sous le couteau parfaitement aiguisé. Mouvements vifs et précis. Les morceaux rejoignent les mixeurs. Glaçons et lait d'amandes. Elle rajoute ensuite une poudre élaborée dans les sous sols de sa boutique. Le mélange avec ce qu'elle a mit dans la pâte des cupcakes devraient faire son petit effet progressif. Elle remplit les verres, les rangent à leur tour et regagne la salle. Le livreur est pile à l'heure. Elle l'accompagne jusqu'à la sortie après une rapide conversation et un café, le salut à la porte d'entrée ouverte sur la rue. Aaliyah essuie ses mains sur son tablier blanc qui retombe sur son jean noir, adressant un signe à la commerçante d'en face avant de rejoindre le comptoir. La journée est belle. Le temps clément promet une fin d'après-midi chargée et si elle aime effervescence qui règne alors, elle apprécie tout autant le calme du présent.

Se préparant un thé en même temps qu'une fournée de cookie à la vanille et noix de pécans, très prisée par des clientèles régulières au quatre heure, elle se pose ensuite. Assise près de la caisse, elle bouquine après avoir servit un habitué. Il n'y a pas à dire, les affaires prospères. De quoi satisfaire la commerçante. Elle songe parfois à se contenter de cette vie, celle que son père lui destinait. Tradition familiale depuis des générations. Elle y pense mais alors qui pour venger leur nom ? Celui qu'ils ont trainé dans la boue. Qui pour laver l'honneur de son père ? Elle a retrouvé des articles, vieux de quelques années. Rien ne lui était épargné. Soupçonné d'escroquerie, de fraudes à l'assurance, d’empoisonnement, un torchon avait même été jusqu'à l'accuser d'attirer les enfants dans son arrière boutique... Elle enrage et pourtant elle reste calme, impassible. Elle sourit même, à la petite clochette qui teinte lorsque la porte s'ouvre, posant livre et tasse pour accueillir l'arrivant qu'elle salut sans même avoir vu. - Bonjour ! Voix enjoué et mine réjouie.

Assis à mon bureau, je lis la presse avant de débuter toutes activités, c'est important pour moi de savoir ce que le pays va faire, politiquement ou autre. Il est 16h15, et mon activité débute à peine, c'est l'avantage d'être son propre patron. La fumée de mon cigarillo emplit la pièce, et je surligne quelques faits divers qui attirent mon œil.

- Bonjour Patron.

Je lève le nez à peine, c'est mon bras droit qui vient d'entrer, qui au vu de sa stature, ressemblerait plus à une cuisse qu'à un bras. Il pose quelque chose devant moi, sur le bureau, et j'arque un sourcil, lorsque je me rends compte qu'il s'agit de gâteaux, type cupcakes, le genre de paniers garnis qu'on offre à son voisin, lorsqu'il vient d’emménager.

- Quelque chose à me dire? Lui demandais-je;
- C'est le gros problème dont je vous ai parlé.
- Il manque de la crème pâtissière dans les gâteaux ?
- Mieux que ça...

Il fait signe à un petit jeune, testeur de drogues par nature, d'entrer. Et là... ce qui arrive, me laisse dubitatif.

- Il en a mangé deux... M'explique mon bras droit.
- Oh... il y a des papillons autour de vous... Fit le jeune, en tentant de les attraper tout autour de moi.
- Okay... mets le en cellule pour pas qu'il se blesse et que les effets se dissipent.

Il fait sortir le jeune, et je me rallume un cigarillo, me levant pour regarder par la fenêtre de mon bureau. Dehors, s'étend un magnifique jardin, mon domaine... sécurisé, richement paré, je me suis fait tout seul, à l'écart des parrains de la mafia, et des motards même. Il m'arrive de leur trouver des produits, mais je ne bosse pour personne, que pour moi, et je régis la drogue à Toronto.

- Comment? Dis-je en baissant les yeux.
- Aaliyah Moran.
- ça me dit quelque chose...
- Je sais pas patron, je connais moins de monde que vous.
- Sors la voiture, je vais la voir.

Je traverse la ville, seul, je n'ai pas besoin d'être accompagné, je me défends parfaitement bien tout seul, et puis je veux que l'on continue de croire que je suis l'homme de main de quelqu'un de plus gros encore, plutôt que l'on sache sur je suis la tête en haut... celle qu'on aimerait faire tomber. Je me gare devant la pâtisserie, lunettes de soleil sur le dos, toujours bien habillé et j'entre dans la petit boutique. Le tintement, me ramène loin en arrière, quand ma mère tenant la boulangerie du coin... c'était y'a longtemps. Une nana, souriante et pétillante me salue...

Elle est à elle seule, le piège parfait, pour tout homme ou même femme qui se respectent. C'est du miel, et je déteste le sucre.

- Bonjour. répondis-je à son intention, tout en regardant l'étalage de douceurs à travers la vitrine.

Je pose mes mains sur le comptoir en verre, et je la regarde avec un petit sourire en coin.

- Aaliyah Moran je présume?

Sous l'innocent regard pétillant, Aaliyah observe et décortique la physionomie du nouveau venu. Elle ne l'a jamais rencontrée, il n'est ni un habitué, ni même un client curieux rentré pour regarder. Son instinct le lui souffle, mais la Raison est déjà avertie. Aaliya n'est pas une débutante, en femme d'affaire, avant d'ouvrir son commerce, elle a étudié le marché, les possibilités et la concurrence. Autant pour reprendre la boutique de son père que pour son commerce peu légal. Elle a été fort avisée de se renseigner, il n'a pas besoin de se présenter pour qu'elle sache qui il est. Lewis Singh. Bras droit du grand manitou de la drogue, maitre incontesté du Business. Il était cependant en avance sur les projets qu'elle avait envisagés. Elle aurait bien aimé quelques moins supplémentaire avant qu'on ne vienne mettre le nez dans son commerce.

Le sourire affiché ne se cisaille d'aucune de ses pensées. Elle reste la Pâtissière accueillante et chaleureuse, bien naïve sur l'homme qui vient de pénétrer dans la salle. Un visiteur comme un autre, alléché à la vie des gâteaux observés en vitrine. - Vous présumez bien. Elle sourit et se tourne vers la machine à café. D'origine, ayant appartenu à son grand père, elle l'avait fait réparée et restaurée. Elle en prépare un noir et bien serré, se plaisait à supposer comment les gens aiment leurs boissons. - Que puis-je faire pour vous ? Elle dépose la tasse sur le comptoir et la fait glisser vers lui.

Elle pourrait gagner quelques jours, peut même une semaine ou deux en jouant les ignorantes. Quoique avant de se projeter dans un possible en devenir, elle doit avant tout découvrir ses intentions. Elle a jeté un oeil à la fenêtre quand il observait ses pâtisserie, il a l'air seul. Un chauffeur peut être. Il est important et les gens importants semblent rapidement devenir incapable de l'anodin.

J'allais parler, lorsque la porte se mit à tinter sa petite clochette, la femme qui entre regarde mon interlocutrice, avant de me voir. Je baisse le regard et tourne à peine la tête. Je la vois se signer et prétexter avoir autre chose à faire, avant de revenir plus tard.

La porte se referme et je repose mes yeux sur elle, je fais le tour de son étale, en ne touchant pas à son café, passant la limite clients-propriétaires. Sans menace, sans arme, un fin sourire sur les lèvres et me moquant bien de ce qu'elle pense qu'il doit se faire ou non.

C'est elle, qui a décidé de jouer, les dealeuses sans en prendre autorisation à la personne concernée. Je passe le bout des doigts dans la farine et me frotte ensuite les doigts pour disperser la tâche.

- Je travaille pour un homme important et ce matin, a été déposé sur mon bureau, un cupcake... joli... rose... à fleurs... très féminin en somme, la surprise dedans, c'était la MDA qu'il contenait. C'est vous la cuisinière non? Comme votre père avant vous?

J'avance d'un autre pas, pour amoindrir l'espace entre nous. Ce n'est pas une technique d'intimidation, mais je jauge à qui j'ai affaire. Si stress à l'approche, si tics nerveux, et pourtant chez elle, plus je m'approche, plus je me rends compte, que la jolie façade apprêtée cache le moche et la noirceur.
 
- Mes condoléances pour lui d'ailleurs. Overdose ou.. autre? Lui dis-je sans la quitter du regard, malgré mes lunettes sur le nez.

Je les retire d'ailleurs, pour plonger ma propre noirceur dans la sienne.

- Je ne vous cacherais pas qu'à ce rythme, ce ne sera pas ma seule visite... et pourtant je n'aime pas le sucre du tout. Je pense que c'est un bien pire poison encore que le reste.

Mme Barrivo repassera sans doute plus tard dans son échoppe. Sans doute qu'elle prendra un cookie supplémentaire à sa commande habituelle pour le déguster en même temps qu'elle la pressera de question. Elle est curieuse, Mme Barrivo et donc très bien informé sur les personnes à éviter. Comme si de rien, fidèle à elle même, Aaliyah lui adresse un signe de main et un sourire, avant de reposer ses yeux sur l'homme dont la réputation fait fuir sa clientèle. Dommage que leur rencontre se fait sous des cieux peu favorables, il est mignon. Dans d'autres circonstances, elle aurait pu s'amuser un peu. Jamais rien de sérieux, elle ne s'attache pas. Lui, prend ses aises et fait le tour pour la rejoindre de l'autre côté du comptoir, sans qu'elle ne s'en outre. Elle l'observe juste, reprenant un peu de thé avant qu'il ne refroidisse.

Un homme important qui travaille pour un autre homme important.. C'est sur son bureau qu'a été apporté le cupcake pourtant. Lequel de ses clients pour l'avoir un peu trop ouvert ? Elle y réfléchit avant de juger qu'il y a pour l'instant plus important. Elle passe outre le stéréotype, ses instincts féministes se déchaineront plus tard et elle pose tranquillement sa tasse. - Pâtissier. Mon père était pâtisser. Et pour lui la différence était importante, assez pour qu'elle le souligne d'un sourire. - Et si il m'arrive effectivement de faire de jolis cupcake rose et fleurit, je n'y rajoute pas d'ingrédients aussi exotiques que la MDA. Elle relève ses yeux vers lui, sans ciller. Elle ne ment pas vraiment. Si ses compositions personnelles s'en approchent, elle fait mieux. A son avis, en tout cas.

- Autres. Overdose... comme si son père avait un jour été un drogué. Un homme dévoué. C'est ce qu'il était. Dévoué à sa femme jusqu'à ce qu'elle meurt, à sa fille jusqu'à ce qu'elle vole de ses propres ailes et à sa boutique, jusqu'à ce qu'on salisse sa réputation...Elle sait que des rumeurs ont circulés, l'insulté de son vivant n'était pas assez, il fallait en prime, vicier sa mort, comme si elle n'avait pas été assez terrible. - Il s'est pendu. Elle ne le cache pas, ce n'est pas un secret. Elle n'a pas honte non plus, elle s'en veut beaucoup. Elle aurait dû être là. - Tout délice est poison quand il se fait abus et le sucre est bien cruel en excès. Elle hausse les épaules, demeurant légère et désinvolte. - Cependant... C'est elle qui se ravance cette fois, d'un pas, les rapprochant un peu plus. - Rien ne vous oblige à revenir dans ce temple odieux de la sucrerie.

Ce n'est pas la peur qu'elle doit contrôler. C'est la colère. De quel droit évoque t-il son père ? De quel droit s'en sert-il ? Elle pourrait le gifler. A défaut, imaginer sa paume cinglante heurtée sa jolie gueule l'apaise et anime ses iris d'une étincelle de malice.

Elle me parle de pendaison et je secoue la tête, la manière la plus radicale pour mettre un terme à la vie. Peu se loupent, il faut s'assurer que la corde ne lâchera pas, c'est une étude minutieuse de la mort, un plan d'attaque en somme, et le but est méthodique, on veut en finir. Je ne réponds pas, chacun à sa vie de merde avec lui, j'en ai parlé parce que le nom me disait vaguement quelque chose.

Je note mentalement, que le sujet est délicat, que c'est une information capitale, si je souhaite lui faire sortir les griffes, ou perdre son sang froid. Tout est bon à prendre face à l'ennemi. Sous ses airs d'anges... elle doit être une sacrée diablesse, pour planquer de la came dans ses cupcakes. Bien que je ne comprenne pas le but de la manœuvre? Ramasser plus d'argent? Elle n'a pas l'air d'en manquer pourtant. Son père devait lui avoir léguer quelque chose, une assurance vie, un truc du genre.

- Que des grands mots, Madame se donne des airs... Lui dis-je en souriant en coin. La première visite est gratuite Miss... la seconde sera payante. Je passais les doigts sur ma bouche, avant de sortir de derrière le comptoir. Avant de sortir de sa boutique, je me retourne. Ah et je ne bois pas du café noir, j'ai une préférence pour le café crème... Mais tu auras l'occasion de m'en servir plusieurs.

Je lui fait un signe de salut, deux doigts contre mon front, pour les envoyer en l'air. C'est rapide, et ça annonce une nouvelle récolte à faire... Si elle refuse de payer, la sanction, ne sera pas belle à voir... Mais je pense qu'elle tentera de faire la forte tête, et que je vais devoir lui montrer l'étendue de mes talents.

Rare sont ceux à pousser la curiosité plus loin, quand les circonstances de la mort de son père sont révélés. Les gens sont gênés, ne savent pas quoi dire et s'empêtre dans des condoléances malaisantes. Lui se tait, pas par respect, mais parce qu'il s'en fout. Ca lui convient parfaitement, elle n'aurait de toute façon rien rajouté. Elle détourne sa colère en l'occupant. Elle va devoir revoir ses plans, qu'il vienne se mêler de ses affaires si tôt, les perturbent de quelques mois. - Et Monsieur semble habile à le pomper. La remarque sarcastique est comme les pâtisseries dans la vitrine: enrobée de douceur. Un sourire amusé et cela passe crème. Elle ne va tout de même pas s'énerver, cela risquerait de précipiter cette seconde visite qu'il annonce déjà. Il faudra qu'elle se soit décidée d'ici là. Payer pour apaiser ou refuser et gonfler sa liste de préoccupation.

Au moins il ne s'attarde pas. Droit au but puis droit vers la sortie. Il est venu, il a vu mais il n'a pas vaincu, Aaliyah se laisse rarement influencer par sa peur, alors l'intimidation... Elle s'appuie à son comptoir, suivant la course de ses pas, posant sa joue contre sa paume. - Je m'en souviendrai. Elle lui adresse un signe de tête pour le saluer, comme si il n'était qu'un simple client. - Au plaisir Crème plutôt que noir, à défaut de s’effaroucher de s'être trompée, elle s'en amuse. Légère et désinvolte en apparence, les rouages déjà en action sous les pensées Elle ne peut nier que le défi lui plait. La situation est dangereuse et inextricable, l'esprit qu'elle a vif carbure à l'adrénaline et à l'impossible. Elle mourra jeune à cause de ça, elle en a conscience, on ne peut gagner à tous les cas; mais elle s'en moque. L'important est d'avoir venger son père avant.