Ma cousine me parut très intéressée par ce que je lui racontais. Avant de me répondre, elle s’accrocha néanmoins à mon bras pour rester à ma hauteur. Il était vrai que j’avançais un peu vite. Non pas que j’avais hâte que notre rencontre se termine, mais j’étais joyeuse et j’avais envie d’avancer rapidement. Et je n’avais pas forcément remarqué qu’Ella peinait à suivre. Je ralentis alors un peu l’allure pour lui permettre de respirer normalement.

- Mais c'est bien ça ! Si il est gentil il n'y a pas de mal à se remémorer le bon vieux temps, même si au départ il va être douloureux... un peu... Dis moi, comment il s'appelle ?

- Il s’appelle Connor.

J’étais pratiquement sûre que ce prénom ne lui évoquait rien et c’était bien normal. Et puis en effet, ça avait été douloureux de repenser à cette époque révolue qu’était mon passé à New-York, mais en même temps, c’était très agréable, et ça me donnait envie de le revoir, de discuter des choses que nous avions faites ensemble, et de tout ce qui nous restait à faire dans nos vies respectives !

- Il a joué plusieurs fois avec nous, pour remplacer notre bassiste ou bien simplement pour être une personne de plus sur la scène. Il est très doué, et très gentil !

En effet, le talent était le deuxième prénom de Connor, sans conteste. Et il méritait de se faire plus connaître. Peut-être que je pourrais l’aider. Mon nom était encore réputé dans l’industrie musicale.

Si ma cousine m’écoutait sans doute avec attention, elle n’en semblait pas moins curieuse. Elle ne devait pas le connaître, ou alors ce serait très étonnant, et malgré tout, je sentais qu’elle s’intéressait à lui, simplement parce qu’il venait de mon passé et qu’il avait ressurgi dans ma vie, comme ça, par hasard. Je me doutais que ça devait être étrange pour elle. C’était comme le mail de son frère : son passé revenant en pleine tête. C’était pareil pour moi, hormis le fait que Connor était beaucoup agréable à vivre que sa famille à elle.

- Et mignon ?

Je souris en levant les yeux au ciel. Je n’avais même pas pensé à ça en lui expliquant qui il était. Pour moi, il s’agissait d’un très bon ami, rien de plus, et de toutes façons, il était marié, moi j’avais Matthew à l’époque, la question ne s’était même pas posée. Aujourd’hui encore, il n’en était pas question.

- Il est marié, Ella. Mais oui… il est plutôt mignon !

Cependant, mes mots sonnèrent faux. Non pas que je mentais, non pas que je ne trouve pas Connor attirant, mais son mariage me semblait battre de l’aile. Il y avait quelque chose qui clochait dans cette histoire, comme s’il m’avait menti, ou bien comme si sa femme avait quelque chose à cacher. Enfin, je n’allais pas élucider ce mystère tout de suite.

- Il a des enfants aussi. Mais ils ne sont pas avec lui. Il est tout seul à Toronto, pour raisons… de santé !

J’avais préféré ne rien dévoiler à propos de ses soucis d’alcool. Non pas que je ne faisais pas confiance à Ella, mais je préférais qu’elle ne sache rien. Elle serait capable de me dire de faire attention, et je ne voulais pas entendre ça. Je faisais confiance à Connor. Du plus profond de mon âme !

Ella n’insista pas quant à l’histoire de la famille de Connor. Tant mieux, je n’avais pas envie de trop en dire. Ce n’était pas franchement des choses que je pouvais colporter comme un ragot. C’était un ami, et je n’étais pas de ce genre. Je détestais qu’on le fasse pour moi, et comme disait l’adage : « ne fais pas à quelqu’un ce que tu ne veux pas qu’on te fasse ! » Connor avait encore la chance de ne pas se taper des paparazzi à sa porte toutes les semaines – encore que je n’en avais plus, ici à Toronto ! – et je voulais que ça continue.

- En tout cas, ça se voit que tu es ravie de l'avoir retrouver. Ca te fais quoi de renouer avec une partie du passé ?

Je baissai la tête, avec un sourire. Que ressentais-je ? C’était une bonne question. Je n’en savais trop rien. En réalité, ça me faisait du mal de l’avoir revu, mais j’étais tellement heureuse aussi. Après tout, c’était un ami, un très bon ami, et s’il me rappelait de bons souvenirs avec Matthew, c’était aussi une façon pour moi de souffrir. Mais ce n’était pas de sa faute, il n’y était pour rien. Alors je ne pouvais pas dire que j’étais malheureuse. Au contraire.

- Je le prends plutôt bien je crois. Je suis contente de le revoir. Même si ça me fait aussi mal en même temps.

Ella se colla à moi pour éviter de percuter une joggeuse. Je souris en tenant son bras contre le mien. Nous étions si proches, ça me faisait vraiment plaisir. J’étais moins seule à Toronto maintenant et si je faisais l’inventaire de toutes les connaissances que j’avais ici, ce n’était plus du tout un exil. C’était plutôt une promenade de santé. J’étais presque contente d’avoir atterri ici, en décidant un beau jour de partir de New-York. C’était revigorant, c’était vraiment.. intéressant. Je retrouvais ma cousine, je retrouvais un ami et surtout je faisais de nouvelles connaissances. C’était sûrement ce qu’il me manquait le plus avant. Mais ici, je n’étais plus aussi médiatisée qu’à New-York. Je n’avais plus de journalistes et de photographes autour de ma maison, je n’avais plus besoin de me cacher ou de cacher mes enfants. C’était beaucoup plus agréable même s’il y avait toujours quelques exceptions. Mais ce journaliste, qui me suivait, aurait tôt fait de ne plus rien avoir à se mettre sous la dent. Je ne faisais rien de bien exceptionnel. Plus de soirées entre célébrités, plus de nouvel album à enregistrer avec les garçons, plus d’histoires sensationnelles.. c’était fini tout ça. Et ça faisait du bien, même si ça me manquait énormément.

- Je me doute bien.... mais profite qu'il soit ici, ca fait toujours plaisir d'avoir un ami à qui se confié.

Je hochais la tête avec vigueur. Evidemment que ça faisait du bien d’avoir un véritable ami, sur lequel compter. Même si je considérais Ella comme mon amie, en plus d’être ma cousine, elle ne connaissait pas les dernières années de ma vie, les années précédentes. Je lui avais expliqué, mais elle ne les avait pas vécu, elle n’avait jamais rencontré l’entourage que j’avais avant. Elle était en dehors de tout ça, et elle avait de la chance. Connor, quant à lui, était ce que j’avais de plus proche en ce moment qui se rapportait à mon ancienne vie, à part mes enfants. Mes enfants… une fois qu’ils seraient grands, il faudrait que je les emmène à New-York, quand même. Je ne voulais pas les emmener sur la tombe de leur père, mais ils avaient des demi-frères et sœurs, et je voulais qu’ils les rencontrent. Même si les autres ne voulaient plus me voir, ce que Tom continuait de nier, inlassablement. Un jour, je le ferais… un jour !

- Tu sais, quand je suis venue ici je ne m’attendais pas spécialement à revoir des personnes qui me feraient penser au passé. Au début, je me suis dit que ce serait difficile de reparler à Connor et en fin de comptes, tout se passe très bien, et je trouve que… j’ai avancé.

Ella et moi continuâmes notre promenade, après qu’elle m’ait dit qu’elle était fière de moi et que la vie continuait. En effet, la vie continuait. Et pour l’instant, j’arrivais à bien me débrouiller. Quand j’étais partie de New-York, j’avais cru que jamais je n’arriverais à oublier, que jamais je n’arriverais à avancer. Et voilà où j’en étais. J’étais comme une adolescente devant un garçon qui était vraiment plus jeune que moi, j’élevais mes deux enfants, je travaillais à l’université… une vie presque rêvée, si je n’avais pas mes souvenirs d’avant. Je ne pouvais pas oublier Matthew, je ne le ferais jamais. Mais j’avançais au moins. Et c’était la meilleure des choses à faire. C’était ce qu’il voulait. Et même si je ne le faisais pas exactement comme lui le voulait, au moins… j’avançais d’une manière ou d’une autre.

Au bout d’un moment, nous nous assîmes sur un banc, Ella et moi, et j’allongeai mes jambes devant moi en les croisant. Il faisait vraiment bon, et c’était très agréable. Surtout en compagnie de ma cousine. J’étais contente qu’elle soit en vacances, qu’elle soit disponible et surtout que l’on se voit. Je me sentais de nouveau proche de quelqu’un de ma famille. Ma dispute avec ma mère m’avait vraiment refroidie et heureusement qu’Ella était là. Non pas qu’elle remplaçait ma mère, mais au moins, elle était de ma famille. Et j’avais quelqu’un pour moi, comme elle m’avait pour elle. Avec un sourire, je tournais la tête vers elle pour reprendre notre conversation.

-Tu sais, parfois je me demande ce que ça aurait fait si je n’étais pas venue à Toronto mais si j’étais allée à Londres, ou si j’étais retournée en Allemagne… En fait, je ne changerais de ville pour rien au monde !

Je vis le sourire d’Ella, et je compris qu’elle ressentait la même chose que moi. C’était agréable d’être enfin comprise. Je ne pouvais plus rester en contact avec les autres pour cette raison : ils ne me comprenaient plus. Depuis la mort de Matthew, j’avais tendance à vouloir m’enfuir, à ne plus vouloir me montrer devant eux, et ils ne comprenaient pas que j’avais besoin d’air, d’espace, de changement. Je savais que je les avais vexés, mais ils comprendraient. Tom avait compris, alors que c’était lui qui avait le plus mauvais caractère. Enfin, c’était mon ex-mari. Il me comprenait aussi bien que sa femme actuelle.

- Je te comprend... Ici c'est un nouveau départ. Je ne suis pas venu par hasard je savais que tu étais ici et ça me rassurai de savoir que peut-être j'arriverai à te retrouver. Et je suis vraiment très heureuse qu'on se soit rencontrer par pur hasard. J'ai aujourd'hui un boulot qui me plait, une famille... J'ai mon bonheur à porté de main...

Je souris en me serrant contre elle pour lui montrer qu’en effet, nous pouvions former une très jolie famille, rien qu’à nous deux. Et puis, elle allait s’agrandir cette famille. Dès qu’elle aurait revu David, j’étais sûre de pouvoir le compter dans notre cercle. Je croisais les doigts pour que ça se passe bien. De toutes façons, j’étais sûre et certaine qu’elle m’appellerait pour tout me raconter. C’était ma cousine… et si elle ne m’appelait pas, ce serait moi qui l’appellerais ! En gros, j’allais tout savoir en détails dès que ce serait fait !

- Et moi aussi… même si je dois bien t’avouer que ma vie d’avant me manque. La scène, les concerts, les enregistrements d’album, les fans… c’était agréable comme boulot ! Et puis… nous étions tous unis. Il ne manquait plus que toi…

Ella m’indiqua qu’elle serait bien venue à New-York si je l’avais invitée. Je levai les yeux au ciel. Bien sûr que si j’avais pensé qu’elle serait disponible, ou qu’elle pensait à moi, je l’aurais invitée à nous rejoindre, le temps de vacances ou plus. Mais je l’avais perdue de vue depuis très longtemps, trop longtemps peut-être, et c’était bien dommage. Ma mère ne m’en parlait jamais, alors elle devait avoir des nouvelles, quand même. Elle aurait pu m’en parler, c’était ma cousine.. mais à vrai dire, je n’avais pas demandé de nouvelles non plus. J’aurais pu. Mais je n’y avais pas pensé. Alors que maintenant, je me demandais encore comment j’avais pu faire pour rester loin d’elle aussi longtemps !

- Aujourd'hui on c'est retrouvée, on forme notre famille et c'est le plus important. On a notre nouvelle vie ici... Mais rien ne t'empêche un jour de remonter sur une scène juste pour le plaisir...

Je regardais l’horizon d’un air rêveur. La scène… oui, peut-être qu’un jour, je remontrais sur scène, et je ferais honneur à Matthew en faisant ce qu’il voulait que je fasse après sa mort. Je n’étais pas prête pour ça. Les enfants étaient encore trop petits, et puis, je n’oserais jamais, pas alors que j’étais encore trop médiatisée si je faisais parler de moi. Il fallait que toute l’agitation se calme pour de bon et que tout le monde oublie Matthew. Néanmoins… je savais que je ne devais pas trop tarder. Je connaissais bien le genre de rumeurs qu’on pourrait sortir sur moi : « Abigail Polloni revient sur scène après avoir épuisé la fortune de son mari décédé… » Hors de question que des torchons disent cela de moi. Alors je devrais remonter sur scène rapidement pour ne pas avoir besoin de me battre contre ces crétins.

- Je remontrai sur scène un jour, c’est sûr. Quand ? Je ne sais pas. Les enfants sont trop petits pour ça et j’aimerais quand même qu’ils aient une enfance « normale » …

Je savais néanmoins que je ne pourrais pas être capable d’attendre trop longtemps pour remonter sur scène. Evidemment, parce que c’était toute ma vie, et j’allais céder à un moment ou à un autre. Mais je devais penser aux enfants en premier, et ne pas faire mon égoïste. Je devais attendre qu’ils soient plus grands. Qu’ils aient eu une éducation. Quand ils auraient une dizaine d’années, je pourrais reprendre, mais avec dix ans de plus, qui voudrait de moi sur une scène ? Personne. Donc j’étais finie. Soit je remontais maintenant pour faire taire les rumeurs et garder une certaine notoriété pour ce que je faisais, soit j’arrêtais complètement et je restais une pauvre petite violoniste déchue, qui avait perdu son grand amour et qui n’était plus que professeur à l’université de Toronto.

- On fera tout pour aussi... je serai là pour t'aider... A ce qu'ils grandissent dans un univers presque normal...

Je souris, en la remerciant d’un regard. Elle serait toujours là pour moi, mais si son histoire avec David se concrétisait – ce que j’espérais du fond du cœur – alors il faudrait qu’elle pense d’abord à eux avant moi. Bien sûr qu’elle serait toujours là mais j’osais espérer qu’elle le serait un peu moins. Ce serait un bon signe pour leur couple. Quant à moi, je trouverais une solution. Pour faire de la scène et garder une vie normale pour les enfants. C’était primordial, et j’allais m’atteler à cette tâche, le plus vite possible.

-Merci Ella, tu es la meilleure. Mais pense d’abord  à toi, et à David. D’accord ?