Edwin ne dispose pas vraiment d’un physique avantageux. Il fait son âge, parfois même un peu plus. Il complète rarement sa garde-robe, il parvient même, à quarante ans, à porter avec dignité les quelques chemises de son paternel, héritage familial. Sa silhouette est droite et allongée. Il ne pèse pas bien lourd sur la balance malgré sa grande taille. La faute, sans doute, à ses mauvaises habitudes alimentaires. Ses yeux sont bleus, ses cheveux sont bruns. Son style vestimentaire se résume à quelques costumes démodés. De plus, il ne quitte jamais bien longtemps son duffle-coat quand vient l’hiver.

Edwin semble être un introverti malheureux et en effet, il parle très peu. Il s’ouvre rarement aux autres, la faute au syndrome d’Asperger. Ses intérêts, restreints, se résument à l’histoire de l’art et à l’entomologie (autrement dit à l’étude des insectes). Oui, les conversations des autres, de ce fait, l’ennuient terriblement mais il fait avec. Il n’aime pas particulièrement se retrouver seul avec lui-même. Il ne s’aime pas, il se déteste. Naïf, honnête et sincère il n’en demeure pas moins attachant. Maladroit avec les femmes, il multiplie les bourdes depuis toujours. Sa plus longue relation est de dix mois. Autant dire qu’il a du mal à communiquer avec elles aujourd’hui.

Je suis né au bon endroit, au bon moment. J’ai un job satisfaisant, un job gratifiant. En Allemagne, en 1940 et même avant, on gazait les malades mentaux. Ils appelaient ça l’Aktion T4. Autrement dit, les malades mentaux n’étaient pas intégrés à la société, on les rejetait délibérément, ils n’étaient rien. La pathologie importait peu, le meurtre était permis. Aujourd’hui, je ne me sens pas particulièrement chanceux. J’ai travaillé dur pour en arriver où je suis, pour m’adapter à cette solitude pesante. Heureusement, les moqueries se font rares. J’ai été diagnostiqué très vite, j’ai pas mis un pied à l’école publique. Je suis resté chez moi à observer les insectes que je capturais dans le jardin. Aujourd’hui encore j’ai des scarabées chez moi, ils vivent confortablement dans un terrarium. Ils sont plus ou moins ma seule compagnie. J’ai une mygale aussi, mais ça, généralement, je le garde pour moi. Les filles n’aiment pas trop les araignées. Mon histoire n’est pas plus intéressante, elle se résume à quelques baisers. Ceux de ma mère pour commencer. Elle m’a toujours trop couvé. Elle parlait à ma place, me coupait ma viande, commandait pour moi au restaurant. Elle ne me laissait pas le choix, elle me rendait dépendant d’elle malgré moi. Au final, j’ai provoqué le divorce de mes parents. Mon père n’a jamais été proche de moi alors il a décidé de repartir vivre à Munich, en Allemagne. Depuis vingt ans, aucune nouvelle. Il a sûrement refait sa vie. Les baisers suivants sont sans importance. Le véritable amour n’existe pas, la passion ne dure qu’un temps et au bout de quelques mois, on finit par se lasser. Être dans une relation ne m’intéresse pas, je ne veux plus être materné, je refuse le compromis.

Il y a les jours sans importance et il y a les autres, il y a ceux où la vie, l’amour et la mort s’amusent. Mais au-delà de la peine et de la souffrance infligés, il y a des jours qui méritent une seconde chance. J’ai rencontré Grace Fletcher un mardi, j’ai tué son bébé et son mari aussi, accidentellement. Depuis, la scène passe en boucle. Je ne peux pas me défaire de cette jeune femme. J’ai provoqué ça, j’étais ivre et j’ai décidé de prendre le volant. Le whisky m’a littéralement assommé et je me suis endormi. Je suis le seul fautif. Grace est restée dans le coma un peu plus de six mois, pendant six mois, je suis resté là, à lui apporter des fleurs, à lui lire mes poèmes favoris. Quand elle s’est réveillée, amnésique, elle m’a pris pour son amour de lycée. Et même si c’est mal, j’ai joué le jeu, la vérité est bien trop effrayante.