Le silence qui régna après que j’ai fini de raconter l’histoire des morts de mes parents fut suffisant pour que je comprenne que Douglas était aussi dégoûté et mortifié que je l’avais été, et que je l’étais encore de temps à autre. Personne n’aurait dû mourir le onze Septembre, comme personne n’aurait dû mourir en Syrie, et sûrement pas des journalistes. Ils ne faisaient que leur travail. Tout comme le père de Douglas faisait le sien. Le pire, c’était que la mère de Douglas n’y était pour rien, absolument rien. Et elle avait été tuée quand même. La vengeance était un plat qui se mangeait froid… et dans un sens… quand j’avais des pulsions meurtrières en pensant à ceux qui avaient tué mes parents, je ne valais pas mieux que le connard qui avait fait tuer ses parents… Chaque homme a une envie de vengeance. Mais chaque homme n’est pas capable de le faire. Et je n’étais clairement pas assez taré pour le faire.

Lorsque Douglas me demanda s’il était journaliste, je ne pus que faire un signe de la tête pour lui répondre. Oui il était journaliste, tout comme ma mère, et je n’arrivais pas à comprendre comment des journalistes qui ne faisaient que leur boulot pouvaient se faire tuer. J’avais décidé – par prudence, à l’époque, parce que j’avais Clio et mon ex-femme – de ne jamais aller sur le terrain, et, quitte à paraître un peu idiot et flemmard, de rester dans le cadre de Toronto. Par chance, notre ville était grande, une vraie fourmilière. Et dans mon secteur, les choses bougeaient assez vite. Je n’étais pas trop mal loti. Je ne ferais jamais le vrai boulot de mes parents, mais je préférais rester en vie le plus longtemps possible…

« Bon mon pote et si on allait boire un verre . A moins que tu veuilles déjà prendre contact avec ton avocat pour ta fille ? »

Je ne pus qu’approuver sa proposition. Boire un verre nous ferait le plus grand bien, et Clio pouvait encore attendre au moins un jour de plus. Douglas ne me laisserait jamais boire plus que de raison, surtout après nos mésaventures respectives. Mais peu importait, je pouvais boire et me sentir bien sans être complètement ivre. Mais là, même Douglas en avait besoin, c’était clair. Pourquoi avait-il fallu que nous parlions de tout cela maintenant ? Evidemment, maintenant c’était fait et ce n’était plus à faire, c’était bien mieux, mais à quoi bon ressasser le passé ? Avec un soupir, je me levai et récupérai ma veste pour la passer.

« Allez, viens. Je connais un bar pas mal, le patron m’aime bien, il nous fera tout à moitié prix ! »

Lorsqu’il se retrouva à ma hauteur, je lui tapotai l’épaule amicalement, avec un léger sourire. Mieux valait aller de l’avant, non ? Et puis… j’avais un nouvel objectif maintenant ! Récupérer ma fille et faire en sorte que sa mère ne puisse plus me la prendre. Je n’avais pas peur des obstacles et je savais que j’y arriverais, parce que quand je voulais quelque chose, je l’obtenais, un jour ou l’autre…