Le regard dans le vague, Douglas se mit à me raconter qu’il n’avait pas d’autres souvenirs qu’ici même, à Toronto, alors qu’il n’était même pas né ici. J’aimais bien la façon dont il parlait de notre belle ville. J’avais toujours vécu ici même si j’avais voyagé avec mes parents, quand ils étaient encore là. J’avais toujours préféré Toronto à n’importe quelle autre ville dans le monde. Mais je n’avais pas tout vu non plus… Et puis, maintenant je ne me sentais plus le cœur à voyager. Peut-être que si ma femme et ma fille étaient encore avec moi, la donne serait autre. Mais ce n’était pas le cas, et ce n’était pas près de changer malheureusement. Je me demandais à quoi elle pouvait ressembler maintenant, ma petite fille. Elle avait dix ans. Et je ne l’avais pas vue depuis 7 ans. Elle ne devait même pas se souvenir de moi ou même simplement savoir qui était son père.
En me rendant compte que ça faisait quelques minutes que je ne parlais pas et surtout que je ne lui avais pas répondu, je relevai la tête et me repris. On ne se connaissait pas bien lui et moi, ce n’était pas la peine de devenir sentimental alors qu’il ne comprendrait rien à cette histoire. Je continuai alors, en parlant de Toronto :

- T’as quel âge ? C’est bizarre qu’on ne se soit jamais vus, si tu as toujours vécu ici. Surtout qu’on n’habite pas loin. Et Toronto, c’est grand, mais on connait quand même ses voisins…

Spoiler:

Malheureusement, j’avais l’impression de tenir une conversation bien stérile. Mais un lendemain de cuite, en train de manger des pâtes avec un inconnu… quel genre de conversation peut-on tenir dans ce cas ? Je n’avais pas beaucoup de choix, ce n’était pas comme si c’était un ami que je n’avais pas vu depuis longtemps, comme si je pouvais lui demander des nouvelles, ce qu’il avait fait depuis le temps.. c’était étrange, comme situation.

Alors qu’il terminait son assiette en me répondant qu’il avait vingt-neuf ans et en philosophant sur le fait qu’on peut très bien vivre dans le même voisinage mais ne jamais se croiser, je tentais de comprendre ce type. Pourquoi faire acte de charité et me ramener chez moi alors qu’il ne me connaissait pas ? Je n’y croyais pas à l’excuse du « sans moi tu ne sais même pas où tu serais » ou bien « je n’ai fait que mon devoir ». Il y avait toujours une raison plus profonde que ça, et je n’aimais pas vraiment qu’on m’aide bénévolement comme ça. Il me demanda alors quel âge j’avais à mon tour, et il me donna un exemple. Je haussai un sourcil. Comment avait-il fait pour viser juste comme ça ? Il m’intriguait de plus en plus ce type.

- Trente-et-un ans oui, exactement ! Comment t’as deviné ?

Douglas sembla surpris d’avoir donné directement mon âge, sans se tromper. C’était drôle, il avait l’air d’être très bon en déductions. Pour un détective, c’était plutôt cool. Au moins, il ne devait pas se planter dans ses affaires. Il ferait certainement un bon journaliste, lui aussi. Dommage qu’il ait décidé une voix plus… comment dire ? à l’écoute des gens ! Ce n’était pas vraiment mon truc, ça. Et ça ne le serait jamais. Je n’étais pas très sociable, je le savais, et en plus : je m’en fichais éperdument.

- Je ne te parait pas bizarre si ?

Une nouvelle fois, j’eus envie de rire. C’était assez énorme comme question, et très vite, ma voix dépassa ma pensée, et je parlai, sans m’en rendre compte.

- Tu me parais surtout gay…

Devant son air surpris, et le silence qui pesa ensuite, je compris que j’avais pensé tout fort, et que c’était honteux de ma part d’avoir fait ça. Je me repris immédiatement, en me raclant la gorge et en évitant de le regarder dans les yeux.

- Pardon, j’aurais pas dû dire ça… La gueule de bois ne me réussit pas… Et euh… tu n’es pas gay ?

Je n’étais pas sûr que me moquer de lui était une bonne idée pour faire connaissance. Il allait m’en vouloir avoir dit cela, mais ce n’était pas un drame non plus, … si ? Ce n’était pas méchant, c’est juste qu’il devait prendre soin de son apparence, et que je trouvais ça un peu too much. Enfin c’était son choix, et je n’avais rien à dire… mais tant pis s’il me trouvait un peu désobligeant.

- Non, je ne suis pas gay, j'aime les femmes, les hommes ne m'attirent pas du tout.

Je me retins de rire en repensant à ce que je lui avais dit ! Quel culot quand même. Surtout qu’il ne l’était pas du tout. Enfin, ce n’était pas non plus horrible. Il aurait pu l’être et ça ne m’aurait pas dérangé du tout. Et même sans l’être, il ne me dérangeait pas. Il était plutôt sympa, et je me fichais pas mal de qui il appréciait ou non. Malgré tout, ce que je lui avais dit avait l’air de l’avoir fait réfléchir. Il me demanda ce qui m’avait fait penser qu’il était gay. Je souris, avant de bien choisir mes mots, cette fois-ci. Pas la peine de faire une deuxième gaffe. Cependant, je ne pouvais pas m’empêcher de lui dire la vérité.

- Je sais pas, tes cheveux en fait… Enfin… Je sais pas, on dirait que tu prends vraiment soin de tes cheveux, alors j’ai pensé que… enfin laisse tomber !

Ma remarque semblait le perturber. Comme si ça avait une incidence que je lui dise qu’il avait les cheveux d’un homo. C’était totalement subjectif, et on s’en foutait pas mal, quand même. Il ne devrait même pas m’écouter, parce que niveau goûts, je n’étais pas franchement un as ! Parfois, je ferais mieux de me taire, mais j’étais du genre honnête et franc. Ce qui parfois pouvait être une mauvaise chose pour moi, comme pour les autres. Je le vis ensuite se lever pour déposer son assiette dans l’évier, un peu brusquement.

- Tu es le premier à me dire ça.... mais je me demande si d'autre personne que toi le pense... c'est peut-être pour ça que je ne trouve pas de femme...

Je secouai la tête pour lui répondre. J’étais sûr que ce n’était pas pour ça. Ce n’était que mon jugement, et mon jugement était sûrement un jugement méchant et certainement pas véridique. Je ne disais que des conneries quand j’essayais de me sociabiliser, j’aurais dû m’en rendre compte avant. Alors lui ne pouvait pas le savoir, mais j’étais certain que ce n’était pas ses cheveux le problème. Parfois, le problème venait tout simplement des femmes. Elles étaient fourbes !

- Je suis certain que ça n’a pas de rapport ! T’as pas trouvé la bonne c’est tout…

Et qui étais-je pour parler de ça ? Ma femme, celle que je considérais auparavant comme la femme de ma vie s’était barrée avec notre fille, sans me prévenir d’où elle se rendait. Et j’étais devenu un vrai macho …

Je ne savais pas pour quelle raison je pensais cela, mais il commençait à me faire de la peine. Il était jeune, il n'avait pas besoin d'une femme pour l'instant, il pouvait encore s'amuser, je ne voyais pas le problème ! Et pourtant, j'étais presque sûr qu'il était dégoûté de n'avoir personne. S'il était vraiment détective, il remarquerait qu'il y avait déjà eu une femme ici. Alors il pouvait aisément savoir ce que je pensais des femmes...

- Mais, je vais bientôt avoir 30 ans... je n'ai pas de petite amie, pas de famille à moi.... ça commence à bientôt être pathétique, pour ma part.

Je haussai de nouveau un sourcil. Une vieille manie chez moi. Dont je devrais me débarrasser d'ailleurs. Enfin, là n'était pas la question. Il se trouvait pathétique, donc, en pensant que parce qu'il était célibataire, alors il n'était pas aussi bien que les autres... Il devait sérieusement manquer de confiance en lui... parce que c'était clair qu'il n'avait juste de relation vraiment sérieuse.

- Ca ne te démange pas de ne pas avoir de famille à ton âge, de ne pas être poser avec une femme que tu pourrais chouchouter ?!

Je secouai la tête en ouvrant de grands yeux. Plus jamais de famille, sans être sûr au préalable que la mère n'allait pas se barrer sans prévenir. Je couchais avec Sarah, et je la considérais comme ma petite amie, certes, mais ce n'était pas pour autant que je prévoyais un futur avec elle. Je ne pensais pas lui faire des enfants, ni même me marier avec elle, pour l'instant. Et je n'en avais même pas envie, dans l'immédiat.

- J'ai déjà été marié, Doug - tu veux bien que je t'appelle Doug ? - et j'ai une fille. Que je ne vois plus. Les femmes, crois-moi, c'est pas forcément une bonne chose !

Ok, là je l'avais choqué. Je savais que dire cette partie de mon histoire choquait tout le monde. Déjà en me voyant, personne ne pouvait penser que j'avais eu une femme. Et encore moins une fille. Et quand on me voyait agir avec les femmes, alors là, c'était cent fois pire. Je ne pouvais pas être un gentleman, je ne pouvais pas être quelqu'un de bien, et tout le monde le savait. Et pourtant... Sarah avait déjà commencé à me changer, malgré moi.

- Mais... mais pourquoi ?

Si seulement je le savais, ce serait plus simple pour moi. Que pouvais-je dire et répondre ? Rien du tout ! Ma femme était partie, certainement parce qu'elle avait trouvé quelqu'un d'autre ! Elle avait emmené ma fille, parce qu'elle ne pouvait pas se séparer d'elle. Et comme la justice est très mal faite, je me retrouvais sans nouvelle et je ne pouvais même pas porter plainte, parce que ce n'était pas pris au sérieux. Résultat, j'étais seul. Et je m'étais habitué, au fil du temps. Je m'étais forgé une carapace.

- Si je le savais, mon pote, j'aurais ma fille avec moi ! Cette salope est un poison. J'aimerais la retrouver, mais bon... ça fait un bail maintenant. Elle a dû grandir, la petite, et elle ne se souvient sûrement pas de moi...

J'avais dit cela sur un ton serein, même si mes yeux devaient encore lancer des éclairs. J'étais tellement déçu que j'en avais l'habitude maintenant...

Douglas était bien gentil avec moi. Un peu trop peut-être. Je ne méritais pas tant d’attention.
Longtemps, je m’étais demandé ce que j’avais fait pour mériter ça. Je ne savais pas pourquoi elle était partie. Je ne faisais rien de mal à l’époque : je ne buvais pas, je ne fumais pas, je ne draguais pas d’autres femmes, je n’allais pas voir ailleurs, rien. Nada. J’étais l’homme parfait, très loin de ce que j’étais devenu alors. C’était terrible de ne pas comprendre une chose pareille. Pourquoi était-elle partie avec ma fille ? Elle ne m’avait rien reproché, il n’y avait pas eu de dispute, pas eu d’éclats, rien. Elle était simplement partie, elle avait filé à l’anglaise, et je m’étais retrouvé seul, un matin, avec les vêtements de ma femme et ma fille disparus, son alliance posée sur la poubelle de la cuisine. Elle m’avait par la suite envoyé les papiers du divorce, et je n’avais pas pu tracer son courrier, parce qu’elle l’avait fait passer par quelqu’un d’autre… Je détestais cette femme. Je la détestais de tout mon cœur et je me demandais même comment j’avais pu l’aimer un jour.

- Ça fait sept ans, plus ou moins, environ. Ma fille avait entre deux et trois ans et maintenant elle en a dix… Enfin, elle en a eu dix hier.

Je vis dans son regard qu’il avait compris ce que j’allais pourtant lui expliquer par la suite, les mots secs, le regard triste, la gorge nouée.

- C’est pour ça que je suis sorti hier soir. Je ne pouvais pas simplement rester chez moi, en repensant aux moments vécus dans cet appart. Et pourtant je veux pas déménager, tu vois…

Je devais être pathétique, à raconter tout cela. Je détestais cette situation, je détestais ne pas être en position de force. Mais Douglas n’était pas Sarah, et il n’était pas David. Et encore… David n’était pas un bon bougre qui s’abaissait à mes requêtes et ordres, malheureusement…

Perdu dans mes pensées, je ne savais plus quoi faire. Lesly avait été odieuse en partant si lâchement. Si elle m’avait expliqué, j’aurais compris, j’aurais accepté, j’aurais pu faire en sorte de me retrouver un peu plus heureux, j’aurais pu me reconstruire. Et surtout, je me serais battu pour qu’elle me laisse ma fille de temps en temps. Que l’on divorce, je n’étais pas contre, elle avait sûrement ses raisons, cette conne, mais elle n’avait pas le droit de me priver de mon enfant. Nous l’avions fait à deux, quand même et j’avais été tellement heureux de la voir naître. Nous étions jeunes à l’époque, nous n’étions pas prêts pour être parents, mais nous l’avions voulue, nous l’avions désirée, et elle était la plus belle chose qui nous était arrivé. Elle le savait, elle avait compris en le voyant dans mes yeux que notre fille était la personne que j’aimais le plus au monde, avec elle. Et elle me l’avait enlevée.

- Je comprend.... j'aurai bien aimer pouvoir rester dans la maison on j'ai grandit.... mais il m'était impossible d'y rester, malheureusement. Mais la vie est ainsi...

Je compris alors en revenant sur terre que Douglas n’avait pas eu une enfance facile non plus. Il paraissait triste, nostalgique d’une époque qui était bel et bien révolue. J’eus envie de lui dire quelque chose de gentil, mais je ne trouvais pas les mots. Je ne trouvais même pas les mots pour me consoler moi, alors comment pouvais-je rien qu’essayer de le faire avec lui ?

- Je peux essayer de la retrouver... c'est un peu mon travail...

Je relevai les yeux vers lui, sans savoir quoi dire, ni quoi faire. Devais-je accepter, devais-je refuser ? Je n’en avais aucune idée, et à vrai dire, ce n’était pas une décision à prendre à la légère. Je devais y réfléchir. Et surtout, il fallait que je prenne mes précautions, sûrement.

- Je sais pas… ça fait 7 ans… je sais même pas à quoi elle ressemble maintenant, comment veux-tu qu’on la retrouve ?

J’étais défaitiste, je l’avais toujours été, et je ne voulais pas me dire que je ne la reverrais jamais, mais j’avais bien compris que Lesly ferait tout pour me mettre des bâtons dans les roues. J’avais déjà essayé de les chercher, toutes les deux. Mais c’était mission impossible. Je ne savais même pas dans quel pays elles étaient, voire sur quel continent elles étaient…

Même si je ne doutais pas une seule seconde de la justesse et de la franchise des paroles de Douglas, j’étais tout de même indécis. Que devais-je faire ? Accepter et faire ces recherches ? Du moins essayer. Après tout, si ça pouvait me ramener ma fille, ce serait une bonne chose. Mais tout dépendait de la réaction de cette dernière. Elle pouvait tout à fait me détester, si jamais sa mère lui avait dit des choses affreuses sur moi. Et j’étais pratiquement sûr qu’elle l’avait fait, pour ne pas avoir à subir les questions du genre « quand est-ce que je verrais papa ? » C’était évident. Cette conne pourrait tout faire pour l’éloigner de moi. Peut-être que mon propre enfant ne voudrait plus jamais me voir de toute ma vie. Alors il fallait que l’on mette en place des limites, Doug et moi.  Cependant, il me prit de court en reprenant possession de la parole :

- J'ai de quoi vieillir une photo.... si tu veux je peux empreinte une photo de ta fille, et je ferrai se qu'il faut pour avoir une approximation de son aspect aujourd'hui.

Faire vieillir une photo. C’était fou ce que la technologie pouvait faire aujourd’hui. Il faudrait que je retrouve une photo. Celle que j’avais dans mon portefeuille devait être trop abîmée pour être utilisable. Je devais en avoir quelques-unes dans mes placards, rangées dans des albums photos que je n’ouvrais jamais. Je pourrais lui retrouver ça. Toutefois, je déclarai à mon tour :

- Je veux bien te suivre là-dedans, Sherlock, mais d’abord, je veux que tu prennes quelque chose en considération.

Je m’arrêtai quelques instants, et partis vers le frigo pour nous trouver quelque chose à boire. Je détestais parler sans rien boire, que ce soit un café, un thé, une bière, un soda, peu importait, mais je voulais boire quelque chose. Je pris une canette de soda dans le frigo et en tendis une autre à Douglas.

- Cette gamine doit me détester à l’heure actuelle. Ne demande pas pourquoi, je suis sûr qu’elle me hait. De fait, je ne veux pas qu’on l’approche. Ni toi, ni moi. Si tu la retrouves, ce sera suffisant. Je ne veux pas que l’un d’entre nous lui parle. Compris ?

J’étais clair, net et précis. C’était ce qu’il fallait. Si jamais on la retrouvait, ou plutôt si Doug la retrouvait, alors il ne faudrait vraiment pas lui parler, ni même l’approcher. Je ne voulais pas de ça, parce que sa mère repartirait encore. Tandis que si nous les surveillions de loin, alors tout serait possible par la suite.

Evidemment, Douglas accepta mes conditions. Il n’avait pas le choix non plus. S’il voulait que je le laisse retrouver ma fille, alors il devait me suivre. J’étais inquiet à l’idée que peut-être, il réussirait à la trouver et qu’il pourrait me la ramener… mais je savais que ce serait foutu d’avance. Sa mère serait capable de porter plainte contre moi – ou même contre lui – juste pour que je ne puisse pas la garder, même simplement pendant les vacances. Il fallait que l’on soit discret, très discret.

- Je ne sais pas si j'arriverai à la retrouver, mais j'ai beaucoup de contact un peu partout. Il y une petite chance...

Je haussai les épaules. Bien sûr qu’il avait des contacts… mais ça ne signifiait rien. J’avais des contacts aussi, et je n’avais jamais pu les retrouver. Mes contacts à moi n’étaient pas que des journalistes, en plus, il y en avait de toutes sortes. Tous les gens qui avaient un jour ou l’autre travaillé avec mon père ou ma mère m’avaient gardé dans leurs carnets d’adresses et j’avais bien entendu fait la même chose. De fait, j’avais tout un tas de personnes prêtes à travailler pour moi et à me donner des informations en échange de services, d’argent ou que sais-je d’autre… Douglas devait avoir autant d’indic que moi. En plus, il avait été flic, il devait vraiment en avoir des tonnes. A nous deux, nous arriverions peut-être à faire quelque chose…

- Alors essayons… Je ne suis pas convaincu, mais pourquoi pas ?

Après tout, ça ne pourrait pas être pire que sept ans auparavant quand elle était partie avec notre fille. Je fis signe à Doug que j’allais dans la chambre et je partis enfin chercher une photographie de ma fille dans les albums photo. Je pris celle qui était la plus claire et la plus nette et la ramenai dans la cuisine, où Douglas s’était finalement rassis. Je lui tendis la photo en la regardant une dernière fois.

- Tiens, tu peux prendre celle là. Bon courage. Et merci… t’es un type bien.

Douglas prit son temps pour bien observer la photo, et je me sentis soudainement gêné. Que devais-je faire ou dire pour paraître humain ? Je n'étais pas un vrai père, je n'avais pas eu le temps de le devenir, et je n'étais pas assez bon pour cela, je ne le serais jamais. Alors, je ne savais pas comment me comporter face à Douglas. J'avais l'impression qu'il allait me juger, parce que j'avais laissé ma femme partir avec ma fille. J'aurais dû les suivre, j'aurais dû me battre pour qu'elle reste avec moi. En même temps, c'était difficile pour moi à l'époque. Je n'avais personne pour m'aider, j'étais tout seul à l'époque, et je ne voulais pas demander à un professionnel pour ça. Et finalement, que faisais-je avec Douglas ? Je demandais à un professionnel.

- Elle te ressemble un peu... c'est quoi son prénom ?

Un peu triste qu'il me le dise, je souris néanmoins en remarquant que lui aussi disait qu'elle me ressemblait. C'était vrai, elle avait mon regard, mes yeux, et quelques-uns de mes traits. C'était ce dont j'étais le plus fier. Je me fichais de mon travail, je me moquais pas mal du monde entier. Le monde entier n'arrivait pas à la cheville de ma fille. C'était elle la meilleure. Elle était bien meilleure que moi-même.

- Elle s'appelle Clio.

Devant le regard de Douglas, je compris directement ce qu'il pensait. Oui, son prénom était bizarre pour une Canadienne. Mais ma femme avait fait des études d'histoire de l'art et avait une passion certaine pour la mythologie grecque. Au début, je n'avais pas apprécié le fait qu'elle ait choisi le prénom toute seule sans me demander, mais en voyant ma fille pour la première fois à la maternité, j'étais tombé amoureux d'elle, et surtout j'avais trouvé que son prénom lui allait comme un gant.

- C'est la Muse grecque de l'Histoire. Ca veut dire "celle sur qui s'appuie le monde".

Je n'avais jamais eu l'envie de lui donner un prénom qui signifiait quelque chose, mais je devais bien avoir que ça me rendait fier de pouvoir dire cela...

Son sourire me confirma une chose : je devais avoir l'air idiot à parler de ma fille ainsi. J'étais encore le même père complètement gâteux en parlant d'elle... mais quel genre de père ne le serait pas ? Il me confirma également que son prénom était joli et original, ce que je savais déjà. Clio... je n'avais encore jamais rencontré quiconque portant le même prénom que ma fille. Finalement, Lesly avait bien choisi. Ça allait peut-être nous aider à la retrouver !

- Le nom de jeune fille de ton ex c'est quoi ?
- Stone.

Lesly Stone. Cette petite pimbêche. Je l'avais rencontrée au lycée. A cette époque, la mode c'était de se trouver une copine et de la garder toute sa vie. J'aurais mieux fait de me casser une jambe le jour où je lui ai demandé de sortir avec moi. Mais je n'aurais pas eu de fille...

- Elle avait de la famille dans l'Oregon. Mais je sais franchement pas si cette piste pourrait mener quelque part.

Lesly était intelligente. Elle n'irait pas là où je pourrais la retrouver...